Publié sur New Republic par Oren Kessler, le 11 Août 2014
Les médias occidentaux ont enfin trouvé le Hamas. Après un mois de couverture du conflit, les journalistes ont commencé à diffuser des images des combattants du Hamas et des reportages sur leurs tactiques de boucliers humains et d’intimidation des journalistes. Quelle qu’en soit la raison – un sens aigu des relations publiques de la part du Hamas ; l’incompétence des médias ou la peur de représailles – il est surprenant que la découverte ait pris autant de temps.
La Bande de Gaza, après tout, fait seulement 40 km de longueur et 11 km de large. Plus de 700 journalistes s’y sont rendus pour couvrir l’opération terrestre d’Israël, durant laquelle le Hamas a tiré plus de 3 500 roquettes – soit une moyenne d’une centaine de roquettes par jour- en Israël.
Cependant, depuis le début de l’opération israélienne, le 8 juillet, l’attention des médias s’est rarement éloignée des pertes humaines. Cet accent mis sur les morts est compréhensible : les images des civils morts ou blessés sont inqualifiables. 43% de la population gazaouie est âgée de moins de 14 ans (et la moitié de la population est âgée de moins de 18 ans), signifiant que ce sont avant tout les jeunes qui payent les frais de cette guerre.
De plus, le Hamas a lancé une guerre sophistiquée et même brillante de propagande médiatique. « Toute personne tuée ou morte en martyr doit être appelée un civil de Gaza ou de Palestine », a annoncé le mouvement aux Gazaouis dans une annonce publique, « avant même que l’on parle de son statut dans le djihad ou de son rang militaire ». Le Hamas a enjoint la population à utiliser l’élément de langage « civils innocents » autant que possible lorsqu’ils s’adressent aux journalistes.
Le Hamas lance des roquettes depuis les zones les plus densément peuplées de la Bande de Gaza – soit la ville de Gaza, Beit Hanoun dans le Nord et Khan Younis dans le Sud – et dit aux combattants de tirer depuis des sites sensibles comme les écoles, les églises, les mosquées, les infrastructures des Nations-Unies et les hôpitaux. C’est une stratégie gagnant-gagnant : si Israël est dissuadé, les infrastructures et les soldats du Hamas sont préservés ; si Israël tire malgré tout, les pertes civiles seront une victoire pour la propagande du Hamas.
La stratégie médiatique du Hamas a été illustrée par son utilisation de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza. Là, au vu et su de tous, les chefs ont commandité leur offensive depuis un bunker souterrain caché sous l’hôpital. Les reporters étaient interdits d’accès au bunker et étaient invités à la place à un point presse dans la cour de l’hôpital. Ici, les journalistes qui cherchaient à interviewer le Hamas devaient faire la queue, un poste idéal pour prendre des photos de civils et de combattants blessés (ces derniers étant inévitablement habillés en civils) qui étaient amenés à toute vitesse à l’intérieur de l’hôpital.
Laissez-moi être clair : J’admire la bravoure de ces reporters de guerre, et je reconnais les conditions difficiles dans lesquelles ils travaillent. Je ne vois pas de complot derrière l’inhabilité de beaucoup à couvrir le conflit de manière exhaustive. En fait, je vois un échec collectif de la presse internationale à donner un rendu objectif sur l’une des Parties de ce conflit, et un échec de mettre à nu – que cela soit de manière explicite ou plus subtilement- les pressions auxquels ils sont confrontés.
Prenez le New York Times par exemple. Son groupe de photo journalistes était mené par Tyler Hicks – primé par deux fois du prix Pulitzer qui a couvert des conflits asymétriques tels que l’Afghanistan, le Pakistan, la Libye ou la Syrie – et comptait également le reporter free-lance Sergrey Ponomarev (lui aussi primé), dont le portfolio inclue des zones de conflit comme le Liban, la Géorgie ou l’Ukraine. Il est donc surprenant que les quatre couvertures majeures du conflit par le Times ne comportent pas une seule photo d’un soldat du Hamas.
Confronté au paradoxe la semaine dernière, Hicks a dit que les « combattants étaient virtuellement invisibles à leurs yeux… Il est impossible de savoir qui est qui. Nous avons essayé de couvrir le conflit de la manière la plus objective possible » Plus tôt, Ponomarev avait implicitement expliqué que la « routine de la guerre » ne lui avait tout simplement pas laissé le temps de chercher des soldats du Hamas : « Vous partez tôt le matin pour voir les décombres des maisons détruites dans la nuit. Après, vous allez aux funérailles, après à l’hôpital parce que de plus en plus de blessés arrivent, et le soir vous repartez voir davantage de maisons détruites ».
La guerre s’installant, les tactiques du Hamas sont devenues plus difficiles à ignorer. Le 21 juillet, le correspondant du Wall Street Journal Nick Casey a twitté ses doutes sur l’engouement des patients de l’hôpital Al-Shifa à voir le Hamas utiliser les locaux comme point presse et base militaire. Ce tweet a été supprimé peu après, sans la moindre explication. Le jour suivant, un journaliste palestinien a écrit dans Libération qu’il avait été interrogé par le Hamas et menacé d’expulsion de la Bande de Gaza. Un collègue lui avait même refusé refuge le soir venu, disant « tu ne plaisantes pas avec ces gens-là »- c’est-à-dire le Hamas-« en temps de guerre ». Deux jours après, l’histoire était retirée du quotidien à la demande du journaliste.
Le 28 juillet, des explosions ont touché Shifa et le camp de réfugiés Al-Shati qui se trouvait à proximité, tuant dix personnes – neuf d’entre eux des enfants. Un reportage du Daily Beast intitulé « La campagne israélienne pour renvoyer Gaza à l’âge de pierre » a décrit une scène dans laquelle « des jeunes enfants se tordaient de douleur sur des civières, attendant que des médecins urgentistes viennent s’occuper d’eux à la suite d’une frappe aérienne sur le camp de réfugiés Al-Shati. Neuf des dix personnes tuées dans l’attaque étaient des enfants et de nombreux autres ont été blessés ». Au même moment cependant, un journaliste italien admettait que le tir n’était pas israélien mais plutôt le résultat de tirs de roquettes défectueuses du Hamas – des preuves que le groupe a tôt fait d’éliminer. Il a attendu pour révéler cette information d’être sorti de Gaza (loin des représailles du Hamas).
Alors que le conflit aura duré bientôt un mois, la couverture médiatique a changé de manière perceptible. Le 1er août, un correspondant de la télévision finlandaise a rapporté avoir vu des roquettes tirées depuis Shifa. Quelques jours après, une équipe de télévision indienne, filmant de leur chambre d’hôtel, ont surpris une équipe du Hamas installer une rampe de lancement de roquettes depuis une zone civile densément peuplée. Là aussi, les images sont sorties une fois l’équipe de journalistes hors de Gaza.
Mais le reportage le plus à charge à ce jour est arrivé le 5 août du reporter de France 24 Gallagher Fenwick. Quelques jours auparavant, le correspondant était en direct lorsqu’une roquette du Hamas avait été tirée juste au-dessus de sa tête. Revenant au site de lancement peu de temps après, il avait révélé qu’il s’agissait d’une zone densément peuplée située à une centaine de mètres d’un local de l’ONU et à 50 mètres d’un hôtel fréquenté par des journalistes étrangers.
L’attaque de roquette du Hamas était triplement cynique : destinée à ouvrir le feu non seulement sur sa population mais également sur un édifice supposément neutre des Nations-Unies et sur les mêmes journalistes qui avaient caché les actions du groupe.
Vendredi [8 août], Anshel Pfeffer, un reporter du quotidien israélien de gauche Haaretz, a interrogé de nombreux journalistes qui revenaient de Gaza sur leur couverture du conflit. Les réponses ont oscillé entre mensonge manifeste (le Hamas était « trop occupé à combattre pour s’occuper » des médias, a offert l’un d’eux) et déclaration plausible (« Je me serais fait tuer » a avoué un correspondant de guerre vétéran).
Israël a cependant du mal à croire ces explications. « C’est le fleuron du journalisme de guerre » s’est lamenté un porte-parole du ministère des Affaires Etrangères. « Comment le Hamas a-t-il si bien réussi ? » D’autres journalistes ont quant à eux exprimé des regrets.
« Quand je regarde en arrière, je me rends compte que j’aurais dû essayer de parler du Hamas un peu plus » a expliqué à Haaretz un reporter anonyme qui se trouve toujours à Gaza.
« L’angle des civils a canalisé presque toute l’attention, mais celui du Hamas aurait dû être couvert davantage, surtout le fait qu’ils… cachent des armes dans des maisons et des mosquées » a-t-il dit. « Cela aurait dû être mieux couvert, mais il y avait tellement de morts tout autour… »
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