La Meuf : Pays de fous

God

Je continue ma découverte de ce pays. Certains jours j’ai l’impression d’avoir toujours habité ici tant je me sens bien et tant tout m’est familier. D’autres jours, je me demande dans quel pays de fous j’ai atterri. Mais pas une seule fois ne me suis-je demandé ce que je foutais là. Si vous aimez les syllogismes, je vous laisse en tirer la conclusion qui s’impose.

Après une semaine de régime pour me remettre des « hagim » (fêtes), je me suis rendue au shuk de Mahane Yehuda, un des meilleurs endroits de la terre selon moi. Mon frigidaire était désespérément vide et je commençais à déprimer sévère avec mon régime pommes-cœurs de palmier-soupe. C’était un vendredi matin, soit le jour de la folie furieuse puisque chacun y fait les dernières courses avant shabbat et avant que les ultra-orthodoxes ne viennent forcer les vendeurs à fermer boutique aux cris de « shabbes ! shabbes ! shabbes ! ». Et ils continuent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus âme qui vive dans la rue. Même un sourd finirait par déguerpir. D’ailleurs je me demande même comment ils ne se font pas fuir les uns les autres tant leur rengaine est épuisante.

Mais revenons à mes emplettes. Bien décidée à n’acheter que des produits sains et raisonnables, digne des meilleurs cures détox, je commence par le stand des fruits et légumes, d’où un des vendeurs sort à quatre-pattes, sa seule issue à cause du monde. Quand son crâne a percuté ma jambe, j’ai d’abord cru à un chat, mais ce n’était qu’un homme marchant à quatre-pattes au milieu d’un marché. Tout est normal. Je décide ensuite de partir à la recherche d’un boulanger susceptible de vendre ce qui pourrait ressembler à du pain français, le seul aliment que je regrette de Paris. Trouver un boulanger à Mahane Yehuda c’est facile. En repartir avec un pain complet ou aux céréales bio, c’est plus dur. Tandis que je bave devant les rogolach au chocolat luisant de sucre, quelques pitas à la farine complète sous le bras, le vendeur attire mon attention avec un produit en provenance directe du paradis : une khallah au chocolat. Je commence d’ailleurs à comprendre pourquoi il y a tant de croyants à Jérusalem. C’est le shuk. C’est sûr. En particulier les stands boulangeries. Tu crois en Dieu direct. Bref, je ne sais pas si j’avais de la bave qui coulait de mon menton, mais il m’a repérée dans la seconde le mec. Celle-là, elle regarde mon pain avec amour, elle va clamser devant ma khallah au chocolat, a-t-il dû penser. Elle brille, elle est tressée, dorée, et chaque creux, chaque vague, est remplie de chocolat fondant. Le vendeur vante le produit en disant qu’elle est garantie une semaine, il m’assure qu’elle restera fraîche. Il est marrant. Une semaine. Il croit sérieusement que la khallah va atteindre mon appartement ou ne serait-ce que le bout de la rue ? Evidemment, arriva ce qui devait arriver. Khallah achetée, khallah gobée, khallah éradiquée, khallah cellulitée.

Heureusement, j’étais inscrite à la NightRun de Tel Aviv, organisée par Nike le 1er novembre. Comme son nom l’indique, c’est une course qui se déroule le soir, dans les rues de Tel Aviv. 10 km, à chaque kilomètre un DJ et, à la fin, une fête monumentale dans un parc pour les 15000 (!) coureurs, tous en t-shirt jaune fluo, musique et distribution de glaces à l’eau au citron. Il y a aussi distribution de médaille avant les glaces, ce qui me rappelle le club Med et me donne envie d’appeler ma maman pour lui dire que j’ai gagné une médaille. Me voici donc en t-shirt fluo avec une médaille et une glace au citron, et je saute en l’air parce que je viens de courir 10km en 55 minutes. J’ai 8 ans. Ce que les organisateurs de la course ont omis de nous dire, du moins, ils ont omis de nous le dire dans une langue que nous maîtrisons, c’est que le lieu d’arrivée est à une heure à pied du lieu de départ. Donc après avoir couru une heure, et dansé et sauté en l’air une demi-heure, mes amis et moi repartons à pied vers la place Rabin, d’où nous sommes partis. Et parce que j’ai décidé de faire cette course avec 4 garçons, nous finissions cette soirée super saine dans un resto spécialisé en hamburgers, Moses, rempli de gens sales et transpirant en t-shirts jaunes. Retour à Jérusalem à 2h30 du matin. Et boulot le lendemain à 8h30. A Paris, j’aurais râlé toute la journée auprès de mes collègues (ou je n’aurais pas couru et râlé quand même parce que la course bloquait la circulation parisienne), ici, je cours, je fais la fête, je gagne des médailles, je dors 4heures par nuit et le lendemain matin, je ferme ma gueule et je bois du café. C’est bizarre l’effet que ce pays a sur moi.

Deux jours plus tard, je rentrais à Paris pour la fête célébrant le PACS de mon meilleur ami, Le Pédé. Vol à 2h45 du matin, je suis certaine d’arriver en grande forme à Paris.

J’appelle la compagnie de « Sherut » (taxi collectif) pour me rendre à l’aéroport. Je fais ma maline et je parle hébreu, parce que désormais commander un taxi en hébreu est du domaine du possible pour moi. Il me demande quelle heure, je réponds 23h. Il me hurle dessus en hébreu. (Note pour plus tard : Suggérer aux profs d’hébreu une leçon dédiée à l’insulte dès les premières semaines en Israël. Succès et mise en pratique rapide garantis.) Donc je me fais insulter sans comprendre. Je pige seulement que mon heure ne lui convient pas parce qu’il ne cesse de répéter : « onze heures ». Je tente un petit « dix heures ? ». Re-hurlements. Je finis par lui demander à quelle heure IL souhaite venir ME chercher pour MON avion ??? Et il me répond 21h. Je crois que même s’il m’avait dit 15h ou 9h du matin, j’aurais dit oui tant je ne voulais plus l’entendre vociférer. Je raccroche. Je réalise que je n’ai même pas demandé le prix et qu’il ne me l’a pas donné. Je rappelle (en tremblant) :

« Euh, oui bonjour Monsieur, je viens de vous appeler pour réserver un taxi à 21h pour l’aéroport, vous savez… ? »

« Oui ! Qu’est-ce que vous voulez maintenant ? » Charmant.

« Savoir combien ça coûte »

« 58. Tut, tut, tut… » Absolument charmant.

Le soir-même, je me prépare à partir, une petite valise que je n’enregistrerai pas, un livre, quelques notes d’hébreu. Le Pédé me choppe sur Skype à 20h30, ma valise n’est pas bouclée mais il me reste une demi-heure. Il a deux énormes scoops à me raconter (l’un sur Le Juif, l’autre sur L’Arabe). Chaque scoop me fait pousser des hurlements et oublier que le temps passe. A 20H45 mon portable sonne. Je sens que c’est le chauffeur de taxi et que je ne vais pas aimer cette conversation. Je réponds, re-re-hurlements. Le Pédé, depuis son ordinateur, entend les cris. Qu’est-ce que c’est que cet hystérique ? Je ne comprends rien. Je crie à mon tour « Quoi maintenant ??? ». Ça le calme. Il me dit qu’il est là. Je dis « cinq minutes » et je cours dans tous les sens. Je l’entends klaxonner comme un furieux. Il va sûrement s’en aller sans moi. Pourquoi les gens sont-ils aussi ponctuels, ou en avance, et surtout, excités, dans ce pays ? Je m’étais habituée à la décontraction des gens en France concernant les horaires (parce que pour le reste, sont pas vraiment relax les français), il va falloir que je redevienne moi-même ici, c’est-à-dire une névrosée de la montre. Je sors en toute hâte, je monte dans le sherut et je me fais engueuler. J’ai l’impression d’avoir 8 ans à nouveau mais je ne vais pas avoir de médaille cette fois-ci. Je lui dis gentiment qu’il avait 15 minutes d’avance, ce qui, dans n’importe quel pays ou circonstance serait un argument imparable, mais non, il continue à grogner. Je décide donc de l’ignorer et reprends ma conversation avec le Pédé, bien plus intéressante. Après moi, le sherut allait chercher 9 autres personnes. Il était également en avance chez eux, et ils se sont faits engueulés comme moi. La plupart étaient des touristes et se demandaient si c’était surprise-surprise qui leur avait envoyé ce taxi.

A l’aéroport, après les 76 questions traditionnelles de la sécurité, et après m’avoir demandé 18 fois si j’étais sûre de n’avoir pas parlé hébreu avec ma mère dans mon enfance (j’en suis venue à me poser la question tant elle semblait persuadée que ma réponse devait être oui), j’ai pu me promener dans les boutiques de l’aéroport Ben Gourion. J’étais plus en avance que jamais, ce qui ne me dérange pas surtout dans un aéroport comme celui-ci. J’ai bu un café, mangé un paquet de cacahuètes enrobées (si bonnes qu’elles pourraient justifier à elles seules un désir d’aliyah chez les plus récalcitrants), acheté deux livres, trois DVD, du dentifrice, un diet sprite, puis il était temps d’embarquer. J’ai vaguement dormi, pas mal cru que j’allais mourir tant les turbulences étaient fortes et je me suis réveillée au son d’une annonce d’atterrissage à Roissy-Charles de Gaulle. La simple évocation de ce nom a créé l’apparition d’un bouton gigantesque entre mes deux sourcils. Juste ce qu’il me fallait pour le week-end.

Il était 7 heures, Paris s’éveillait, toujours aussi grise à mes yeux malgré le beau temps et les monuments majestueux.

 

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