L’intégration réussie des Éthiopiens en Israël

ethipien

L’alya (littéralement : La montée en Israël)  des Juifs éthiopiens a constitué un défi unique pour l’Etat comme pour les migrants. Leur intégration est globalement réussie grâce à un investissement majeur du gouvernement israélien qui a pratiqué à leur égard une discrimination positive.

Opération MoïseOpération Salomon, ces noms résonnent comme ceux d’une légende des temps modernes, celle de l’arrivée des Juifs éthiopiens en Terre promise. Cependant, cette immigration s’est avérée complexe pour les migrants comme pour l’Etat, d’autant que la moitié d’entre eux ne sont pas juifs mais chrétiens. L’aliya éthiopienne n’a jamais été une aliya comme les autres. « Dès le départ, le ministère de l’Intégration, en rupture avec sa conception d’antan, a élaboré un plan qui tenait compte de la spécificité des Ethiopiens », souligne Haïm Rosen, anthropologue spécialiste de l’Ethiopie qui travaille au département des études du ministère depuis 1986. « L’objectif était notamment de ne pas refaire les mêmes erreurs que dans les années 50, de ne pas considérer les Ethiopiens comme de pauvres malheureux, de ne pas les parquer dans des villes périphériques de développement comme Yeroham ou Ofakim comme cela avait été fait avec les Juifs marocains, par exemple ». Or, la population éthiopienne venait d’un autre monde. « L’aliya des Ethiopiens est quelque chose d’unique » remarque Michael Jankelowitz, porte-parole de l’Agence juive. « C’est celle qui a constitué le plus grand défi pour Israël car il s’agissait d’une population analphabète, qui n’était pas du tout familiarisée avec le mode de vie occidental. Avant leur départ pour Israël, il a fallu expliquer aux migrants qu’ils allaient voyager en avion. Les immigrés de Gondar ne savaient même pas ce qu’était une voiture ! ».

Discrimination positive

Les défis étaient techniques mais aussi culturels et identitaires. Ainsi, il a fallu créer un patronyme. Les Ethiopiens n’avaient pas de patronyme mais uniquement un deuxième prénom, celui de leur père, que d’ailleurs les femmes conservaient après leur mariage. « Il a été décidé que leur patronyme serait le deuxième prénom du premier grand-père décédé », explique Rosen, un moyen de concilier l’esprit de leur tradition et l’exigence d’un patronyme existant dans les sociétés occidentales. « Mais jusqu’à quel point la société israélienne pouvait tenir compte de leur différence ? » s’interroge l’anthropologue. « Passées l’émotion et la curiosité pour cette population venant d’une société pré-moderne, l’intégration des Ethiopiens en Israël ne s’est pas faite sans malentendus et sans erreurs », voire sans racisme. Mais une génération plus tard, le bilan est globalement positif. Pour Lisa Antéby-Yémini (Les juifs éthiopiens en Israël. Les paradoxes du paradis, éd. CNRS 2004), anthropologue qui a suivi le processus d’intégration des Ethiopiens depuis 1991 et chercheuse au CNRS, « l’immigration éthiopienne est réussie compte tenu du fait qu’elle était beaucoup plus complexe que les autres. Aujourd’hui, tous les enfants sont scolarisés. Chaque année, quelque 3.000 Ethiopiens intègrent l’université » où ils sont d’ailleurs dispensés de payer les frais d’inscription, très élevés. Les Ethiopiens d’hier comme d’aujourd’hui font l’objet d’une discrimination positive bénéficiant d’aides qui ne sont accordées à aucun autre immigrant. « Un Ethiopien coûte sept fois plus cher à l’Etat que la moyenne des immigrants » souligne Lisa Antéby-Yémini. Ils ont notamment accès à un prêt immobilier à des conditions exceptionnelles qui leur permet à tous de devenir propriétaires. Tsega Melaku est l’un des symboles de cette intégration réussie. Arrivée en 1984 à l’âge de 16 ans, elle étudie les sciences politiques et passe un master de gestion. Aujourd’hui, elle est directrice de la radio publique israélienne mais ne cache pas qu’il y a encore du chemin à faire. «Je suis une journaliste confirmée mais les autres médias ne me sollicitent que pour parler de la communauté éthiopienne. Si un Ethiopien tue sa femme, mon téléphone n’arrête pas de sonner, mais s’il y a un débat général sur la situation de la femme dans la société israélienne, on ne m’invite pas », confie-t-elle.

Une communauté divisée

Autre problème majeur rarement évoqué, celui de la division de la communauté éthiopienne en deux groupes. D’un côté, les Falasha, Juifs éthiopiens venus dans le cadre de la « Loi du retour », de l’autre les Falash Mura, des chrétiens ayant une ascendance juive remontant au plus tard au 19e siècle, accueillis dans le cadre de la réunification familiale de la « Loi d’entrée ». Ces derniers font l’objet d’une attention particulière de la part de groupes de pression américains qui militent pour la poursuite de leur immigration en Israël, du parti ultra orthodoxe sépharade Shas qui espère convertir ces nouveaux adeptes du judaïsme en électeurs fidèles, et enfin de groupes missionnaires chrétiens qui recrutent en Israël pour leurs églises. Lisa Antéby-Yémini souligne les enjeux de cette immigration à deux facettes. « Une fois converti, un Falash Mura a le droit, grâce au système de réunification familiale, de faire venir tous ses enfants issus de plusieurs mariages. Concrètement, chaque Falash Mura fait venir en moyenne 22 personnes dont la plupart n’ont aucune ascendance juive. Nombre de responsables juifs éthiopiens de la première vague de migration étaient et restent opposés à l’arrivée des Falash Mura. Selon eux, ce sont des opportunistes qui se sont convertis au christianisme au 19e siècle pour avoir une vie meilleure et qui, maintenant, se convertissent au judaïsme afin de pouvoir émigrer en Israël et bénéficier de toutes les aides gouvernementales. Pour certains, l’arrivée massive des Falash Mura a signé l’échec de l’immigration juive éthiopienne, d’autant que les Falash Mura ont en partie pris l’ascendant dans la communauté ».

L’immigration des Ethiopiens en chiffres

1977-1985 Opération Moïse : une immigration clandestine à pied à travers le Soudan et l’Egypte. 19.000 tentent l’aventure et quelque 5.000 personnes meurent sur le chemin de la Terre promise. 1991 Opération Salomon : le gouvernement israélien organise un pont aérien qui permet d’acheminer 15.000 âmes en 36 heures. Ceux qui arrivent ensuite ne sont plus juifs. 1996 La troisième vague d’immigration commence sous le gouvernement Netanyahou. Les Falash Mura seront 35.000 à immigrer en Israël entre 1999 et 2008, en principe dernière année d’immigration collective. Mais en mars 2009, deux responsables israéliens partent en Ethiopie pour examiner les demandes de 1.400 à 4.000 autres candidats. Aujourd’hui La communauté éthiopienne compte quelque 110.000 personnes qui se répartissent, à peu près, à parts égales entre Falasha et Falash Mura.

Schlomo Molla : « Nous ne savions pas qu’il existait des Juifs blancs ! » Député de Kadima depuis 2008, Schlomo Molla est arrivé en Israël en 1984. Il y a passé son baccalauréat, fait l’armée, intégré l’Université Bar Ilan pour devenir travailleur social, avant d’être engagé à l’Agence juive en 1991. Racontez-nous votre aliya.

Je suis venu sans ma famille. Le voyage a pris un an. Nous sommes passés par le Soudan. Quand nous sommes arrivés, cela a été un choc. Nous rêvions de Jérusalem, mais nous ne savions pas qu’il existait des Juifs blancs ! Et puis en Ethiopie, dans nos petits villages, le monde technologique nous était totalement inconnu. Ici, tout nous semblait nouveau et bizarre; les villes, les bâtiments, les feux rouges, l’électricité, les voitures… Je n’étais jamais monté dans une voiture avant d’arriver en Israël !

Diriez-vous que l’intégration des Ethiopiens est réussie ?

Pour les personnes âgées, cela reste difficile mais les jeunes se sont bien intégrés. Beaucoup ont réussi dans tous les secteurs de la société. Cela demande beaucoup d’efforts et de patience mais pour nombre d’entre nous, la preuve est faite que c’était possible.

Catherine Dupeyron


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