Entretien Elite Zexer, réalisatrice
Qui sont ces Bédouins dont parle votre film ?
Historiquement, les Bédouins sont des nomades arabes qui vivent de l’élevage, dans le désert. Ils ont leur dialecte, leur culture et leurs traditions. Dans le film, je m’intéresse aux Bédouins du désert de Néguev, au sud d’Israël. Beaucoup sont semi sédentarisés et vivent dans des villages non reconnus par Israël, où les maisons n’ont pas de fondations en dur, ni d’accès facile à l’eau et l’électricité. J’ai voulu raconter une histoire de femmes au sein de cette communauté.
Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
Il y a dix ans, ma mère a entrepris de photographier des femmes bédouines dans divers villages du Néguev. Un jour, elle m’a proposé de l’accompagner. J’ai accepté, sans savoir que cette escapade deviendrait l’aventure la plus incroyable de ma vie. Pendant des années, j’ai eu la chance de rencontrer des femmes formidables dont l’histoire m’a profondément bouleversée. Certaines sont devenues des amies très proches. Le film est presque entièrement le fruit de ces échanges. Les personnes que j’ai rencontrées, les histoires que l’on m’a racontées, tout cela transparaît à l’écran plus que tout autre chose. Mes rencontres avec les Bédouins ont façonné chaque plan de ce film. Une rencontre, en particulier, a été déterminante. Ma mère et moi avons accompagné une jeune femme lors de son mariage avec un inconnu qu’elle épousait pour satisfaire sa famille, alors qu’elle aimait un autre homme en secret. Quelques minutes avant de rencontrer son futur époux pour la première fois, elle s’est tournée vers moi et m’a confié : « Cela n’arrivera jamais à ma fille. » À cet instant, j’ai su qu’il fallait que je fasse ce film.
Quel a été le plus gros défi à relever pour réaliser ce film ?
L’écriture du scénario. Cela m’a pris quatre ans. J’ai abordé une culture qui ne m’était pas familière, avec des traditions, des croyances, des coutumes et une langue différentes des miennes. Je n’ai nullement cherché à m’en cacher mais j’ai tout fait pour qu’on ait l’impression qu’une voix s’exprime de l’intérieur. Quand bien même la culture des Bédouins m’était étrangère, il fallait que le script soit un reflet authentique de leur vision du monde. J’ai donc passé des années à écrire et réécrire le scénario encore et encore, jusqu’à sentir qu’il la retranscrivait fidèlement. Le scénario est fictif, mais il est inspiré de faits réels, et je l’ai écrit en me sentant dans l’obligation de le rendre aussi vrai que possible, non seulement parce que c’est le genre de cinéma qui me correspond le mieux, mais aussi parce que je ressentais le devoir de représenter avec justesse les gens que j’ai rencontrés. Ce désir d’authenticité a eu un impact sur chaque aspect de la réalisation. Décors, costumes, maquillage… Nous n’avons rien inventé.
Comment avez-vous choisi les acteurs ?
Je savais dès le début qu’on ne pourrait pas embaucher de vrais Bédouins pour les rôles principaux et encore moins des femmes de la région dont parle le film. Il est en effet impossible pour elles d’être filmées et de se montrer en images devant un public sans nuire à leur réputation. Nous avons donc décidé de travailler avec des actrices professionnelles arabes, qu’il faudrait coacher afin qu’elles puissent parler le dialecte bédouin sans accent. Nous avons cherché pendant des mois, partout en Israël et même au-delà. Ruba, l’actrice qui joue Jalila, a été la première à être auditionnée pour le rôle. Plusieurs actrices lui ont succédé mais le choix de Ruba s’est vite imposé par lui-même. En revanche, ce fut plus long pour Lamis, qui joue Layla, car elle était aux antipodes du personnage que j’avais écrit. Nous avons néanmoins continué de travailler ensemble car je sentais qu’elle était la bonne actrice pour Layla. Avec le temps, les scènes ont évolué, le personnage s’est façonné et j’ai ressenti le besoin de retravailler le scénario afin qu’il colle mieux à Lamis. Lorsque j’ai été sûre de mon choix, j’ai pu trouver Haitham, qui joue son père, pour lequel je voulais un acteur qui ait plus qu’une simple présence physique. Quant aux sœurs de Layla, nous avons aussi parcouru tout le pays pour les trouver. Lorsque nous avons réuni tous les acteurs pour la première fois et qu’une famille est soudainement apparue devant moi, que la relation entre les sœurs ne faisait plus aucun doute, j’ai ressenti une grande émotion. Cela reste un des moments les plus forts que j’ai pu vivre sur ce film.
Vous êtes israélienne. Le film est donc joué par des acteurs arabes, en dialecte bédouin. Comment avez-vous dirigé vos acteurs dans une telle configuration ?
Six ans avant de réaliser Tempête de Sable, j’ai tourné un court-métrage, Tasnim qui se passait aussi dans une communauté bédouine. Je tenais à réaliser ce court pour voir si j’étais capable de faire un film sur une culture aussi éloignée de la mienne et le langage était évidemment le test ultime. Je me suis retrouvée à diriger en hébreu et en anglais des acteurs arabes qui avaient dû apprendre une langue différente de la leur. Cela peut sembler complexe mais pour moi, ça a été une expérience incroyable. Je savais exactement comment diriger mes acteurs à tout moment, par mes gestes et mes sensations. C’était presque comme une épure, dans le sens où ça ne reposait pas sur des mots mais sur des émotions. Je suis très fière de Tasnim et – c’est le plus important pour moi – je l’ai montré dans des villages bédouins, où les habitants l’ont aimé, et m’ont demandé de faire un autre film sur eux. Alors j’ai commencé à travailler sur Tempête de Sable, tout en prenant des leçons d’arabe, mon but étant qu’à l’heure du tournage, je puisse être capable de comprendre les dialogues en arabe. Même si, sur le tournage de Tempête de Sable, j’ai eu recours aux mêmes techniques : je ne me suis pas concentrée sur les dialogues mais sur les sentiments exprimés…
Layla est issue d’une lignée de femmes fortes, ce qui n’est pas anodin dans la culture arabe…
Les femmes de mon film vivent dans un monde étriqué, régi par des règles très strictes. Elles luttent chacune à leur façon, et cherchent à savoir jusqu’à quel point elles peuvent repousser les limites sans pour autant faire imploser le système. Elles aspirent à autre chose, pour elles-mêmes comme pour leurs semblables. Elles essayent d’y arriver en changeant les choses de l’intérieur. J’ai été le témoin de ces luttes, de ces combats, de la force incroyable de ces femmes, presque partout où je suis allée, chez presque toutes les femmes que j’ai rencontrées. Leur résistance prend différentes formes : l’une gère sa maison d’une main de maître, une autre apprend à conduire, l’une fait des études ou décroche un emploi, une autre se bat pour épouser l’homme qu’elle aime… Dans le film, la mère et la fille sont confrontées, au même moment, à un grand bouleversement dans leur vie : Jalila voit son mari prendre une seconde épouse beaucoup plus jeune ; Layla voit dévoilée au grand jour son histoire d’amour secrète et strictement interdite (car elle doit épouser un membre de sa tribu pour ne pas affaiblir le clan). Elles ont deux visions du monde radicalement opposées, et chacune tente de se battre seule, sans succès. Leur famille se déchire et leurs certitudes volent en éclat. Elles comprennent alors que si elles veulent survivre, elles vont devoir s’accorder et échanger leurs points de vue.
Tempête de Sable est votre premier film, il a gagné le Grand Prix à Sundance dans la section « films étrangers », suivi en septembre 2016 de nombreux Ophirs (« César » israéliens). Il a été le premier film en langue arabe à représenter Israël aux Oscars, et a réuni de nombreux spectateurs. Comment expliquez-vous un tel succès ?
J’ai accompagné mon film dans de nombreux pays pendant presqu’un an et je crois pouvoir dire que les gens qui le voient réagissent de façon très forte à deux choses. La première, c’est qu’ils apprécient que ce film leur donne à voir et à mieux comprendre une société dont ils ne connaissent rien. La seconde, c’est qu’ils arrivent à se connecter de façon personnelle, bien que le film parle d’une communauté qui n’est pas la leur. Pour moi, c’était l’intention principale : je souhaitais être universelle et pas ethnographe. Cette société et ces lieux ont beau jouer un rôle essentiel dans le film, l’histoire ne doit pas rester prisonnière du pittoresque. Je voulais que les spectateurs qui voient Tempête de Sable ne se disent pas « c’est si loin de moi, ces règles me sont étrangères » mais à l’opposé, qu’ils se retrouvent dans certains de ses thèmes. Le film aborde de nombreux sujets : la lutte pour faire changer les choses dans une société aux limites très strictes, le choc entre modernité et tradition, le déterminisme, les liens entre mères et filles, entre pères et filles, l’évolution des générations, l’éclatement de la cellule familiale…
TEMPETE DE SABLE– au cinéma le 25/01/07
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