D’après une étude menée par les Prof Ran Barkai et Avi Gopher du Département d’archéologie de l’Université de Tel-Aviv, en collaboration avec le Dr Ruth Blasco de l’Institut national pour l’étude de l’évolution humaine en Espagne et les Dr. Lutz Christian Maul et Krister Smith du Musée d’histoire naturelle Senckenberg à Francfort en Allemagne, les premiers humains qui vivaient dans la Grotte de Qesem à 25km à l’est de Tel-Aviv dépeçaient les tortues, les cuisinaient de diverses manières et les utilisaient comme complément alimentaire il y a plus de 400 000 ans.
L’étude, à laquelle ont également participé les Prof. Jordi Rosell et Pablo Sanudo de l’Université de Tarragone en Espagne, a été publiée début février dans la revue Quaternary Science Reviews.
“La Grotte de Qesem représente une étape extraordinaire de l’évolution biologique et culturelle de l’homme”, explique le Prof. Barkai. “Ce stade, qui se situe chronologiquement entre 400.000 à 200.000 ans avant notre ère, est également repérable dans tout le sud du Levant, de Qesem jusqu’en Syrie, mais la grotte de Qesem n’a pas son équivalent en termes de préservation naturelle”.
C’est dans cette grotte, découverte en 2000, que l’on a retrouvé les traces de la première preuve de l’utilisation d’un feu permanent pour griller la viande, ainsi que des témoignage très anciens de recyclage d’outils et la preuve la plus archaïque de l’existence d’un type humain, qui est peut-être l’ancêtre de l’homme moderne dans la région, une découverte qui remet en question la conception conventionnelle selon laquelle l’origine de l’homo Sapiens se trouve en Afrique orientale.
“D’une manière générale”, dit le Prof. Barkai, “le régime alimentaire des habitants de la grotte de Qesem était basé sur la chasse d’animaux de taille grande ou moyenne. La grotte est pleine d’os de mammifères, en particulier des cerfs, des bovins, des chevaux et des porcs. Les premiers humains exploitaient pleinement ces calories, y compris la moelle osseuse. En outre, un précédent travail de recherche, analysant des restes de graines trouvés dans des dents d’humains qui vivaient dans la grotte a révélé qu’ils mangeaient également des aliments végétaux, probablement en plus petite quantité que la viande. Maintenant, nous pouvons dire qu’il y avait aussi un composant supplémentaire et intéressant dans l’alimentation de ces premiers habitants de la grotte: les tortues”.
Les humains ont de tout temps mangé des tortues, mais grâce à la préservation particulière de la Grotte de Qesem, l’équipe les archéologues ont été en mesure d’analyser des vestiges de ces petits animaux et de parvenir à des conclusions surprenantes sur la façon dont ils étaient préparés, cuisinés et mangés dans la préhistoire.
“Dans certains cas elles étaient rôties entières dans leur carapace, dans d’autres on cassait la carapace au moyen d’outils en silex, puis on démembrait l’animal. Les tortues ont été consommées dans la grotte de Qesem tout au long des 200 000 années durant lesquelles elle a été habitée, mais selon des méthodes différentes d’après les périodes. Nous avons retrouvé des os de tortues, qui sont très petits, sur lesquels on distingue à la fois des signes de brisure, d’entailles, et des traces de brûlures. C’est une découverte inhabituelle. En effet, on n’est pas forcé de dépecer une tortue, comme on le fait pour la carcasse d’un gros mammifère. Les tortues du type de celles qui étaient consommé dans la grotte fournissent, selon nos calculs, tout au plus 190 grammes de viande. C’est-à-dire une quantité minime que l’on peut manger en une ou deux bouchées. Et pourtant ces humains les dépeçaient, avec des outils presque chirurgicaux, comme pour en fabriquer des plats gastronomiques à la française “.
Le Prof. Gopher indique que ces témoignages de consommation des tortues suggèrent également de nouvelles hypothèses sur la division du travail dans la grotte. Les tortues sont par nature des animaux lents et il n’est pas difficile de les chasser, comme c’est le cas pour les cerfs, ou les chevaux. Il s’agit plutôt d’une sorte de collecte. D’après des témoignages ethnographiques sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs, nous savons que différents secteurs du groupe étaient responsables de l’approvisionnement des différentes ressources, les hommes jeunes étant généralement ceux qui partaient chasser les gros animaux. Il est possible qu’il en ai été de même dans la grotte de Qesem. Les petits animaux, y compris les tortues, étaient apparemment collectés par les personnes âgées et les enfants.
“Jusqu’à il y a quelques années, de nombreux chercheurs supposaient que seuls les humains modernes sont parvenu à utiliser toute la gamme des ressources naturelles, alors que les premiers hommes tels que l’Homo erectus et les néandertaliens ne chassaient que de gros animaux”, ajoutent les Prof. Barkai et Gopher. “Aujourd’hui, nous savons que ce n’est pas exact, et ces nouveaux résultats confirment qu’il s’agit de préjugés. Les anciens humains de la Grotte de Qesem appréciaient une alimentation variée, équilibrée et savoureuse composée de steaks, de moelle osseuse, de nourriture végétale, et parfois même de tortues, et tout cela il y a 400 000 ans. De plus, le fait que les hommes ont mangé tortues pendant 200 000 ans nous montre que les habitants de la grotte n’ont pas détruit cette population animale, qui ont une croissance naturelle faible. Ils savaient donc comment utiliser toutes les ressources à leur disposition, sans toutefois les détruire”.
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