François-Luc Doyez, journaliste pour LesInRocks, a consacré mardi dernier un article sur la vidéo devenue virale « 10 hours of walking in Paris as a Jew ». Il y dénonce « une vidéo qui retranscrit une réalité indéniable, mais qui semble avoir un but bien précis ». Il poursuit « son but paraît clair : convaincre les juifs de France qu’ils ne sont plus en sécurité dans leur pays. Quitte à tomber dans les amalgames et la stigmatisation ». Il y propose également une enquête sur le journaliste à l’origine de la vidéo, Zvika Klein, et dénonce sa « ligne très orientée ». Rappelons que la vidéo de Zvika Klein met en exergue l’antisémitisme à l’égard d’un homme se promenant pendant 10 heures dans les rues de Paris, vêtu de Tsitsit et d’une kippa.

Tout d’abord, il faut souligner qu’un média et/ou journaliste émet forcément des idées ou des tendances. A cela, rien de répréhensible puisque la diversité́ des convictions et des opinions doit être représentée. C’est précisément le propre de tous les médias : les Inrocks est par exemple un magazine français classé à gauche tout comme le Figaro est classé à droite.

Au-delà du messager, le message reste limpide : l’antisémitisme fait rage dans certains quartiers de Paris. Ne faut-il donc pas se focaliser sur le fond plutôt que sur la forme ? D’autant qu’il est nécessaire de rappeler que cette vidéo a été réalisée en caméra cachée et qu’à aucun moment le journaliste ne fait part de son identité ou de ses opinions. L’anonymat était donc total. Il n’a prononcé aucun mot ni provoqué les passants lors du tournage de la vidéo. Ce sont ainsi des réactions prises sur le vif qui témoignent d’une réalité qui doit être dénoncée.

Rappelons également que l’expérience avait auparavant été réalisée en Suède par un autre journaliste, non-juif, dans les rues de Malmö afin de sonder les réactions des passants et leurs comportements envers les juifs. Victime d’insultes et de coups, il avait dû fuir sous les menaces. Zvika Klein est-il forcément moins légitime, parce que juif israélien, pour dénoncer l’antisémitisme en Europe qu’un journaliste suédois non juif ? D’autant que François-Luc Doyez n’aurait surement pas effectué une enquête approfondie sur le journaliste à l’origine de la vidéo si celui-ci n’avait pas été juif ou israélien. Etre israélien de nos jours est-ce donc forcément sujet à suspicion ?

Au-delà des journalistes à l’origine de ces vidéos, c’est le contenu qui doit être avant tout analysé. Celle réalisée à Paris témoigne d’un antisémitisme culturel qui fait rage dans certains quartiers populaires. Elle témoigne des stéréotypes et préjugés dont sont victimes les juifs.

L’article de François-Luc Doyez entend également dénoncer « les amalgames et la stigmatisation » de cette vidéo. Pourtant, l’antisémitisme culturel ancré au sein de nombreuses familles notamment musulmanes est une réalité. Cet antisémitisme est dénoncé par beaucoup et ce récemment par Soufiane Zitouni, ancien professeur de philosophie au lycée musulman Averroès à Lille. Certes, on ne saurait faire de stigmatisation ou généralisation. C’est cependant un phénomène réel qui doit faire l’objet d’une politique réfléchie. D’ailleurs, est-il nécessaire de rappeler que, selon les dernières statistiques du service de protection de la communauté juive, en 2014 les actes antisémites auraient augmenté de 101 % en France. Près de 51% des actes racistes en France en 2014 ont été dirigés contre les juifs qui représentent un peu moins de 1% de la population française.

En parlant d’amalgames, François-Luc Doyez cite dans son article Sheldon Adelson, propriétaire du média NRG et « défenseur d’une ligne dure concernant le conflit israélo-palestinien ». Il n’y a pourtant aucun lien entre la vision de Sheldon Adelson concernant le conflit israélo-palestinien et les observations démontrées dans la vidéo. A force de citer ce conflit à tout bout de champ les journalistes ont une responsabilité dans son importation. En parlant de Sheldon Adelson, il écrit également qu’il serait le « principal bailleur de fonds du parti républicain américain, et de Benjamin Netanyahu ». Cette information est sans lien avec la vidéo qui, à priori, était le sujet de son article…

Enfin, il dénonce une vidéo qui entend « convaincre les juifs de France qu’ils ne sont plus en sécurité dans leur pays ». Est-il nécessaire de rappeler que les juifs sont eux aussi dotés d’un esprit critique leur permettant de juger posément s’ils souhaitent quitter ou non la France?

Il aurait été plus judicieux de la part de ce journaliste d’écrire un article sur le contenu de la vidéo tout en proposant une analyse réfléchie des causes et conséquences plutôt que de se focaliser principalement sur le parcours et les opinions de Zvika Klein qui ne témoignent aucunement du problème de fond à savoir l’antisémitisme de nos quartiers populaires.