La Meuf : Une française à Jérusalem

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Ça fait trois semaines que je suis partie de Paris et même si le beau temps et l’absence de patron pourraient laisser penser à des vacances prolongées, le rythme intensif auquel je suis soumise depuis mon arrivée m’a bel et bien jetée de plain pied dans la vie israélienne.

A ce stade de mon immersion dans un pays à la fois étranger et familier, j’ai ressenti le besoin impérieux de partager certaines de mes impressions et anecdotes malheureuses.

La première chose que j’ai notée est liée à la France. Je l’oublie très vite. Il m’a fallu deux semaines pour remarquer que depuis la salle où je suis mes cours d’hébreu, je peux apercevoir le drapeau du consulat français flotter au loin, à côté de celui de l’Union européenne. Ça fait un effet étrange de se dire que je n’ai pas vu ou reconnu la bannière tricolore pendant 15 jours. Ça peut paraître anodin mais ça ne l’est pas pour quelqu’un qui a toujours eu la chair de poule et les larmes aux yeux en apercevant les trois mêmes couleurs sur l’aile des avions Air France dans un aéroport étranger. De même, j’ai très vite oublié de lire les infos sur le site du Monde, du Figaro, sur Google.fr, et quand je décide d’aller y faire un tour de temps en temps, je suis effarée de voir que le sport est si souvent à la une, et de noter mon désintérêt profond pour la campagne présidentielle qui se prépare.

Aussi vite que la France sort de mon quotidien, j’ai le sentiment de sortir du sien. Mes collègues m’envoient moins d’emails, certains de mes amis se font moins présents, ce que je ne leur reproche pas. J’ai moi-même été de l’autre côté quand ma copine Mélanie est partie à Hong-Kong. Elle m’a souvent dit que c’était étrange de voir que les gens n’appelaient pas, ou moins souvent. Outre le coût des appels, je comprends désormais ce qu’elle voulait dire. Mais on a décidé de partir non ?

Même si je ne suis pas officiellement une immigrée puisque j’ai un statut d’étudiante pour un an, je le vis de la même façon. Je ne connais que très peu la langue, apparemment je ressemble à une française, sans doute à cause de l’absence de crocs ou de chaussures orthopédiques à mes pieds (ce qui signifie que je ne m’assimilerai JAMAIS), je ne maîtrise pas encore très bien la monnaie et je calcule dans ma tête avant d’acheter quelque chose (et ça prend du temps parce que diviser par 5, c’est compliqué), j’ai encore du mal à sortir de chez moi sans gilet malgré les 30 degrés tenaces, et si je n’ai aucun mal à gérer la non possession de voiture, je m’aperçois toujours trop tard que les sacs à main qui pèsent 50 kilos ne sont pas pratiques, j’apprends aussi à gérer les différentes paires de chaussures qu’il faut avoir sur soi pour pouvoir marcher de grandes distances tout en ayant l’air sérieuse quand nécessaire. Bref, je suis comme un bébé qui apprend à marcher, je tâtonne.

Quand j’ai un peu de temps, je vais faire du sport, parce que même à l’étranger je mange du chocolat, et même à l’étranger, le chocolat n’est pas automatiquement éliminé par l’organisme. Ce qui est agréable c’est que le sport ici, ça peut aussi être de la natation en plein air puisque les piscines ne sont pas couvertes avant le mois d’octobre. C’est là que je dois vous raconter mon premier faux-pas d’étrangère. La plupart de mes affaires doivent arriver par bateau, mais elles ont été retardées. Donc je n’ai pas mes maillots de bain. Et comme je voulais absolument profiter du beau temps, je suis allée en ville il y a deux semaines pour me trouver un maillot de bain mettable et bon marché. Dans une petite boutique pour ados je trouve un maillot deux pièces acceptable et surtout bradé à l’équivalent de 4 euros. Autant vous dire que je n’ai pas hésité. Et me voici dans ma piscine avec mon petit (très petit) maillot avec des nœuds dans le dos et sur les hanches. Un machin une pièce Go-sport aurai été préférable mais on fait avec les moyens du bord quand on ne sait pas où se trouve le Décathlon local. Je fais mes 72 longueurs (je suis quelqu’un de très modéré) et quand je me lève pour sortir, je fais une « Sophie Marçade ». En d’autres termes, j’expose à la vue de certains et certaines un bout de poitrine. J’hésite entre mortification et rire. Je pense à Sophie, à Tartuffe, et là je réalise qu’il y a une demi-douzaine de dames qui me fusillent du regard. Ça va, faut pas exagérer, me dis-je d’abord. Mais je suis à Jérusalem. Toutes ces dames ont non seulement des maillots une pièce mais aussi une petite jupe intégrée et des manches courtes. En fait, elles ne sont pas du tout en maillot mais en combinaison. Et leurs maris et enfants sont là. Et moi, je porte un truc digne des plages de Rio et en plus je montre mes seins. Sur ces entrefaites, j’ai failli prendre un billet d’avion, mais j’ai décidé de persister un peu plus.

Bref, assez parlé futilités. Soyons plus sérieux. Je suis une sorte d’immigrée. Je suis donc une nouvelle minorité. Je suis une française, avec tous les préjugés que cela implique. Je suis forcément un peu snob, anti-israélienne, de gauche, je mange des kilos de fromage, beaucoup de vin, et je ne me lave pas beaucoup. Comment vous dire ? En tous les cas c’est intéressant mais très crispant de voir les regards, les sourires, les airs suspicieux quand ils vous entendent parler hébreu et qu’au premier mot ils vous disent : « Ah ! Tsarfatia ! » (ce qui signifie « française »). C’est souvent suivi d’un sourire narquois ou sincère et de quelques mots français dans un ordre dénué de sens, du type : « Ah, l’amour, Paris, Sarkozy, les Champs-Elysées, merci beaucoup, bonjour, Tour Eiffel, fromage ». Et ensuite, ils vous parlent en anglais, refusant d’admettre que vous pouvez déjà vous débrouiller un peu dans leur langue. Mais comme mon prof d’hébreu, Akiva, me l’a imposé, je dois insister et parler hébreu. Sauf qu’à ce stade, je suis forcément déstabilisée. Et voici qu’au lieu de demander une portion de pastèque à un stand de fruits, j’insiste pour avoir une portion de tomates. Passé le moment d’embarras et d’incompréhension, je peux repartir avec ma pastèque. Ce fut plus gênant quand j’ai demandé un jus d’homme au lieu d’un jus de carottes (“guéver” au lieu de “guézer”), mais ça a beaucoup fait rire dans tout le resto. Je suis devenue une sorte de clown à mon insu. Je ne suis pas sûre d’adorer.

Bonjour, est-ce que je pourrais avoir un jus d’homme s’il vous plaît?

Je me démène donc pour intégrer cette nouvelle culture, ces nouvelles habitudes, ces nouveaux codes. Et ça vient vite. Moi qui étais une obsessionnelle de la prévision, de l’exactitude, et de la précision, je m’adapte à la culture orientale et je me détends. Je vis au jour-le-jour, et si je pense à mon avenir, je vis le présent avec plus de facilité. Je découvre petit à petit les rares endroits ouverts le samedi, shabbat, en grande partie fréquentés par les touristes et les intellos-bobos-laïcs de Jérusalem, notamment la Cinémathèque et le ciné Lev Smadar. J’ai de nouvelles appréhensions et apprécie l’absence d’autres craintes, je dois me faire à une nouvelle lessive, de nouvelles odeurs, au fait de ne pas comprendre quand des vendeuses parlent de vous dans votre dos et vous appellent « la touriste », mais je m’amuse de pouvoir leur dire : « non, je ne suis pas une touriste » avec un sourire en coin. Elles sont mortifiées mais rassurées de voir que ma compréhension ne va pas beaucoup plus loin pour l’instant. Il faut donc bosser dur si on veut décoller l’étiquette touriste posée sur son front. Tout regarder, tout découvrir, tout dévorer. Et c’est ce que je fais.

Je me sens beaucoup trop loin de la vie que j’ai quittée pour y retourner. Je pense à mon appart parisien et même s’il est incomparablement mieux que celui que j’ai ici, je ne le regrette pas et j’espère ne pas avoir à y retourner, je pense à mes collègues, à mes amis, à ma famille, à ma voiture que je viens de vendre (ce qui est une sorte de miracle), et si parfois j’ai un petit pincement au cœur, il me suffit de m’arrêter sur le petit pont que je traverse tous les jours, de regarder la ville et je sais pourquoi je suis ici. Je me demande seulement ce qui m’a pris tout ce temps.

Article paru le 26/09/2011 sur le blog que je partage avec trois amis, Le Juif, L’Arabe et Le Pédé, C’est la Gêne.  

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