La Meuf : L’assimilation par le café.

Comme je le disais dans mon dernier post, j’essaie d’être israélienne. Après trois mois passés à Jérusalem, j’ai compris qu’un des éléments essentiels de mon adaptation, voire de mon assimilation, est la culture du café.

Les israéliens boivent du café toute la journée, café au lait, cappuccino, ou alternativement, thé à la menthe fraîche ou chocolat chaud. Avec leur café, ils mangent des gâteaux ou des biscuits. Sucrés ou salés, peu importe, mais il faut grignoter. Et quand ils t’invitent chez eux, c’est pareil, café-gâteaux, café-gâteaux, jusqu’à ce que tu crèves ou deviennes accro toi aussi. C’est aussi dangereux que la scientologie leur truc. Ça fait donc quelques mois que je bois du café et que je mange des biscuits. Je dois reconnaître que c’est une activité que je trouve plutôt agréable. Et comme je l’ai déjà dit, les capuccinos ici sont les meilleurs du monde, les gâteaux ne sont pas mal non plus, donc je m’acclimate plutôt bien. De surcroît, je n’aime pas écrire chez moi, je préfère qu’il y ait du bruit, du passage, et des vrais cafés. Donc dès que l’appel de l’ordinateur ou du café se fait sentir, je fonce dans un de mes « bait-cafe » préférés, je commande mon capuccino et j’écris, je lis, j’admire le paysage et je parle avec les serveurs que je commence à connaître.

L’avantage du café comme mode d’assimilation, c’est qu’on peut observer les israéliens dans leur vie quotidienne, interagir avec eux et, ainsi, accélérer le processus.

Bon, quand un israélien s’approche de votre table uniquement pour écraser son mégot dans votre cendrier, niveau interaction y’a mieux, mais c’est un début.

Au cours des dernières semaines, c’est assise dans des cafés que j’ai vécu deux expériences assez étranges et qui, je crois, ne me seraient pas arrivées dans un autre pays. C’est pourquoi j’ai décidé de les partager avec vous.

Expérience n°1 : J’étais tranquillement en train de boire un thé à la menthe chez Coffee Bean et de lire le sublime livre de David Grossman, Une femme fuyant l’annonce, qui a récemment été traduit en français et a reçu le Prix Médicis du roman étranger, lorsqu’un homme, 55-60 ans, m’aborde et me demande s’il peut s’asseoir à ma table. Je n’ai pas le temps de répondre, qu’il est déjà assis en face de moi. J’attends des amis et j’imagine leurs têtes s’ils arrivent et me trouvent discutant avec un parfait inconnu de son âge… Il me demande si je suis Française rapport au livre en français. J’aimerais lui demander s’il est détective rapport à ses capacités de déduction (encore que je pourrais être belge ou suisse ou québécoise – Dieu préserve –  ou vouloir améliorer mon français). Et il commence à me raconter sa vie. Il a divorcé depuis peu, il s’emmerde, il cherche une femme, il a l’air dépressif. Je commence à angoisser. Qu’est-ce qu’il me veut ? Il pourrait être mon père. Puis il me demande ce que je fais là, depuis combien de temps je suis là, blablabla. J’en dis le moins possible. Et à chaque fin de phrase, je replonge le nez dans mon bouquin. Ce qui devrait être compréhensible dans toutes les langues non ? Tu me gonfles, j’ai envie de lire mon livre, laisse moi tranquille.

Mais voilà que débarque une bonne femme qui semble le connaître, elle est contente de le voir, ils débriefent un peu et je suis obligée d’écouter. Ils parlent hébreu mais je comprends une grande partie de leur échange, notamment le moment où elle lui demande si elle le dérange en plein Shiddoukh. Là, je crie : MAIS NON ! PAS DU TOUT !

Un shidoukh, pour ceux qui ignorent de quoi il s’agit, c’est un blind-date. Les religieux en raffolent. Et ils font ça dans des endroits très très publics genre les cafés ou les lobbys d’hôtels. Bref, cousine Thérèse s’en va, je reste avec le monsieur et mon thé et David Grossman qui, Dieu merci, écrit des livres en format brique permettant le double emploi arme en cas de besoin. Il me raconte qu’il va voir sa mère à l’hospice (super gai comme conversation) et qu’elle adore les bonbons, du coup il me propose un bonbon (dans l’imaginaire occidental, offrir des bonbons ça fait plus Marc Dutroux que Mamie Nova, j’aurais dû le prévenir pour la prochaine fois). Mais bon, je prends quand même, ça reste un bout de sucre. Sur ce, je le fous un peu à la porte de ma table parce que j’attends mon petit ami, lui dis-je. Il me propose de venir faire shabbat dans sa famille si jamais je suis seule. Je suis pas seule merci, et même si j’étais seule, je ne viendrais pas chez toi, flippant personnage. Il me demande mon numéro de téléphone. Evidemment je donne un faux numéro en changeant le dernier chiffre. Et au moment où je fais ça, je sais qu’il va me griller. Parce qu’ils ont un truc les israéliens, ils font tous pareil. Tu leur donnes ton numéro et pour te tester en live (ils prétendent que c’est pour que tu aies leur numéro aussi) ils appellent direct. Et donc ils peuvent voir si ça sonne ou pas. Donc là, le mec appelle et me regarde bizarrement parce que mon téléphone, posé sur la table, n’émet aucun son alors que de son côté ça sonne. Je regarde mon téléphone, je le regarde et je dis : « ah non, mais c’est pas du tout ce que vous pensez, y’a juste pas de réseau sur cette terrasse ». Ce qui est super intelligent dans la mesure où lui est justement en train de m’appeler de la même terrasse. Bref, je suis obligée de faire genre y’a eu un malentendu sur un chiffre et je lui donne mon vrai numéro. Il rappelle, j’enregistre son numéro pour être sûre de ne jamais répondre s’il appelle. Je l’enregistre sous :

Prénom : Mec Coffee Bean ; Nom : Pas répondre.

Expérience n°2 : Je suis en train de m’installer dans un café, je me défais des couches de manteau, écharpe et gilets qui me recouvrent car ce jour-là, il fait plutôt froid et je m’apprête à m’asseoir quand un mec entre dans le café et me regarde fixement. Il ressemble à quelqu’un que je connais de Paris. Un instant, je me demande si ce n’est pas lui, mais non. Je détourne donc le regard mais je l’ai apparemment fixé trop longtemps, le voici qui s’avance. Il commence à me parler super vite en hébreu. Je ne comprends rien. Je suis fatiguée, je n’essaie même pas de le faire répéter, je lui demande tout de suite de passer à l’anglais, bevakacha. Il me demande si je suis gothique. Hein ? Il me dit que je suis habillée tout en noir. Faux, ma tunique est grise. “Ok, mais quand même. Si tu essaies d’avoir l’air gothique, c’est raté et si tu n’essaies pas, tu en as l’air.”

Ok. Qu’est-ce qu’ils me veulent tous ?

Il va payer pour tous les autres celui-là, je sens. Je ne suis pas gothique, je suis française et les françaises sont souvent en noir. Et le jour où les israéliens vont donner des cours de mode aux français (françaisE de surcroît) n’est pas encore arrivé chéri. T’as vu ta dégaine ? Tu veux qu’on parle de toutes tes compatriotes qui sont en total look panthère du matin au soir (jusqu’au cache-oreilles) ? Je rêve.

Je sors ma brique signée Grossman. J’ai mieux à faire qu’écouter tes théories débiles sur la couleur de mes vêtements. Mais il ne bouge pas.

« C’est pas très poli de sortir un livre quand quelqu’un te parle »

Sérieusement ? Après la mode, la politesse. C’est vraiment le comble.

« Désolée, mais j’ai un deadline. » Je mens.

« Un deadline ? Tu es critique littéraire ? »

« Non, j’écris un blog et j’ai promis un article sur ce livre à mes co-bloggeurs, pour demain. »

Suis trop forte. S’il me demande l’adresse de mon blog pour vérifier, j’écrirai un article pour dire que les israéliens sont des stalkers-nés. Et stalker, ça veut dire Glenn Close dans Liaison Fatale, pour ceux qui ne comprendraient pas.

Il me demande depuis combien de temps je suis en Israël et quel est mon statut. Comme n’importe qui à ma place (du moins je l’espère), par « statut », j’entends touriste, étudiante, ola hadacha (nouvelle immigrante), etc. Donc je réponds que pour l’instant j’ai un statut d’étudiante. Il me dit alors :

« C’est très bien, mais ce n’est pas ce que je voulais savoir. Je veux dire, tu es célibataire, mariée, tu es venue en Israël avec quelqu’un… ». Glenn Close je vous dis.

« Ah, ok. Désolée. Pas mariée, non, et venue seule. » Au secours.

« Donc si jamais tu rencontrais quelqu’un qui te plaisait et qu’il t’invitait à boire un verre, tu dirais oui. » Au cas où vous en douteriez, ceci n’était pas une question, mais une affirmation.

En l’occurrence il ne me plaît pas. Et en l’occurrence je vois quelqu’un.

« Il se trouve que je vois quelqu’un, donc je ne dirais pas non si la personne est sympa et intéressante, mais ça restera amical. »

Et là, le mec me regarde droit dans les yeux avec un petit sourire en coin et il me dit, très froid et presque agressif :

« You’re really full of bullshit. » (de mieux en mieux…)

Non, mais comment ça se passe au niveau de je ne te connais pas, tu me parles pas comme ça, coco.

« Pourquoi je suis full of bullshit ? »

« Parce que c’est pas vrai, tu ne vois personne. » Je rêve. Je suis à deux doigts de me vexer.

« Et pourquoi pas ? »

« Parce que ça fait trois mois que tu es là. Mais bon, ok, on ira boire un chocolat chaud en amis. » Dit-il, comme s’il me faisait une faveur. Trop aimable. Et en amis ? Il croit vraiment que je veux être son amie ?

« Donne moi ton numéro de téléphone. »

Puisque j’apprends de mes erreurs, cette fois je donne le bon du premier coup. L’avantage de leur technique de stalker, c’est qu’au moins après, c’est facile de filtrer.

Une fois les numéros dûment échangés, je lui demande de bien vouloir me laisser terminer mon livre. Il s’en va, visiblement irrité par mon comportement (tout cela est sublime). Son numéro est précieusement enregistré à :

Prénom : Glenn ; Nom : Close.

Avant de clore cet épisode central sur le café, je dois tout de même préciser que la plupart des personnes rencontrées dans ces cafés sont des gens normaux et tout à fait fréquentables, qui n’ont nullement l’intention de faire bouillir mon lapin. Mais les gens normaux sont moins intéressants, forcément. Ils ne font rien qui sorte de l’ordinaire israélien. Ils arrivent, s’assoient, commandent un café, lisent, ou parlent, ou écrivent, ou mangent, commandent un deuxième café, un troisième, se curent les dents, paient et partent. Vous avez trouvé l’intrus ?

Je sais que c’est un truc oriental le curage de dents, j’ai déjà observé ça au Maroc et avec mon ancienne collègue japonaise (oui, oriental au sens large), mais ici, c’est un peu le sport national. A chaque fin de repas, hop, la boîte (ou le petit pot délicat) de cure-dents apparaît et vas-y que je te récure ces molaires, ces incisives, ces gencives. Bon, c’est sûr, après ça ils peuvent sourire sans crainte d’avoir un bout d’épinard coincé entre les deux dents de devant, mais je dois avouer que j’ai encore du mal à m’y faire. Et le jour où je prendrai un cure-dents pour m’astiquer les dents en public n’est pas encore arrivé.


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