“Hatufim”, la série israélienne qui a inspiré “Homeland”

homeland grammy

Ce jeudi 13 septembre, Canal + débutait la diffusion de sa nouvelle série Homeland. Derrière l’ouragan Homeland se cache une série beaucoup plus modeste dans ses moyens mais pas dans ses ambitions. Diffusée depuis 2010 sur la chaîne Keshet, l’excellente Hatufim a fait sensation en abordant un sujet brûlant en Israël : le retour des prisonniers de guerre. A travers le destin de deux soldats de Tsahal libérés par le Hamas après plusieurs années de captivité, ce pur drame intimiste explore les conséquences de cette absence sur leur vie personnelle et familiale.

Ancien assistant du producteur Doug Liman, son créateur Gideon Raff navigue depuis quinze ans entre Los Angeles et Tel-Aviv. Comme son compatriote Hagai Levi (In Treatment) avant lui, il a participé à l’adaptation américaine de sa série:

“Je savais qu’Homeland serait très différente mais j’ai accepté le jeu car j’ai eu tout de suite confiance en Howard Gordon et Alex Gansa. J’ai écrit le pilote avec eux. Ensuite, j’ai donné des notes et des conseils sur chaque script. Pour la deuxième saison, je suis toujours très impliqué comme producteur. Mais il a aussi fallu que je m’attelle à la nouvelle saison d’Hatufim (diffusée cet été en Israël – ndlr). Si je devais pointer les différences, au-delà des personnages, je dirais que ma série repose moins sur la menace d’un ennemi ou une sensation de paranoïa qu’Homeland. Elle scrute plutôt l’imprévisibilité de deux hommes qui, revenus à la liberté, ont du mal à mettre leur trauma derrière eux.”

Prix Emmy de la meilleure série dramatique décerné dimanche 23/09/12

Ce que “Homeland” doit à “Hatufim”

A l’origine de « Homeland », il y a « Hatufim », série israélienne dont la charge émotionnelle vous hante longtemps. Récit du douloureux retour à la vie de deux soldats après 17 ans de captivité au Liban, « Hatufim » est l’œuvre du scénariste et réalisateur israélien Gideon Raff, 40 ans, qui a également participé à l’écriture d’ « Homeland ». Loin des effets de thriller bien huilé de la série américaine, la version originale se distingue par sa poésie et cette faculté à faire ressentir le deuil, intime et collectif – au point d’évoquer le sublime roman de David Grossman, « Une femme fuyant l’annonce ». Alors qu’on attend toujours qu’une chaîne française se décide, à l’instar de l’Angleterre, à faire l’acquisition de « Hatufim » ( dont la saison 2 vient d’être diffusée en Israël, décidément nouvelle terre promise des séries !), Gideon Raff a bien voulu répondre à nos questions lors du dernier festival Series Mania, au Forum des Images, à Paris.

Quel est le point de départ d’ « Hatufim » ?

Gideon Raff – Je me suis rendu compte que les rares histoires qui existent sur les prisonniers de guerre se terminent par leur retour. Dans « Hatufim », c’est là que tout commence…

Comment la série a-t-elle été accueillie par le public israélien ?

G.R – Elle a battu tous les records d’audience pour une fiction. Mais, au départ, cela a suscité d’intenses controverses. Chez nous, le sujet des prisonniers de guerre est une plaie à vif. « Hatufim » est une série forcément bouleversante pour les Israéliens. Chacun d’entre nous a un proche engagé dans l’armée et tout le monde se sent concerné par la cause des otages… Chaque fois que nous entendons leurs familles, notre cœur se brise.

Vous avez également participé à l’écriture de « Homeland » : quelles sont, selon vous, les différences entre les deux séries ?

G.R – Les Etats-Unis ne négocient pas avec les preneurs d’otages, contrairement à Israël. Pour « Homeland », il fallait donc que le sergent Brody soit retrouvé, en Irak, par l’armée américaine. Mais il y a aussi des éléments rigoureusement identiques entre les deux séries : l’arrivée à l’aéroport, le moment où l’épouse de Brody dans « Homeland » et celle de Nimrod dans « Hatufim » découvrent leurs cicatrices, le soupçon autour de ce qu’il s’est vraiment passé pendant leur captivité… Dans « Homeland », qui est un authentique thriller, c’est même la question principale : le héros a-t-il été retourné? Dans « Hatufim », la tension est avant tout intime. Mais finalement, il est question de la même chose : le traumatisme de la captivité, pour celui qui le subit, comme pour ses proches, prisonniers de l’attente. Pas étonnant que cela soit universel : c’est l’histoire de l’« Odyssée »…

Pour écrire « Hatufim », vous avez rencontré d’anciens prisonniers de guerre… Qu’avez-vous retenu de ce qu’ils vous ont confié ?

G.R – L’un d’entre eux m’a dit : « Quand j’étais emprisonné, sans voir personne pendant des jours, je me sentais si seul et abandonné que j’étais soulagé quand quelqu’un venait enfin me chercher pour me torturer. » Dans l’un des épisodes d’« Hatufim », Nimrod rejoint un groupe de parole. Pour cette scène, on a réuni d’authentiques otages, faits prisonniers pendant la guerre de Kippour. A la fin du tournage, je leur ai demandé : « Qui, parmi vous, a le sentiment d’en être sorti ? » Sur les 21 participants, un seul a levé la main. Son épouse est venue me voir, à la sortie, pour me dire : « Il en rêve toutes les nuits ».

Rejoindre les humains quand on a connu l’inhumain peut être une épreuve insurmontable…

G.R –En Israël, on a envie de s’en tenir à la « happy end » : on ne veut pas savoir comment les soldats s’en sortent avec « l’après »…. La série a tout au moins permis de briser le silence. Cela a été l’occasion, pour ceux qui sont revenus, de raconter leur histoire… La parole est une délivrance.

Dans « Hatufim », vous montrez aussi que les ex-otages ont été soumis à une intense suspicion de la part des services israéliens…

G.R – Cela a fait scandale en Israël car c’est un chapitre méconnu de notre histoire : après la guerre de Kippour, 200 prisonniers ont été interrogés par l’armée, à leur retour. Les témoignages sont très discordants : certains affirment qu’ils ne pouvaient pas sortir, qu’il y avait des barbelés aux fenêtres, qu’ils n’avaient pas le droit aux visites. L’armée assure, au contraire, qu’ils rentraient tous les soirs chez eux… Ce qui est certain, c’est qu’ils ont été interrogés par des gens qui n’avaient aucune formation particulière et dont les questions ont réactivé le traumatisme subi. J’ai d’ailleurs découvert, au cours de mes recherches, en amont du tournage, que mon père, alors jeune officier dans l’armée, avait fait partie des effectifs réquisitionnés pour mener ces interrogatoires.

L’un des personnages de la série affirme : « Il n’y a aucune logique, juste de la souffrance »…

G.R – C’est une assertion qui fait écho à un débat brûlant en Israël : le prix à payer pour les otages. En général, ces derniers sont échangés contre des terroristes qui reprennent leur combat, une fois libérés… Après la libération de Gilad Shalit, plusieurs articles ont détaillé le nombre de terroristes relâchés en échange. Un ancien prisonnier de guerre m’a confié qu’il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable dès qu’il y avait un attentat… L’écriture de la série m’a poussé à me poser la question et j’en suis arrivé à cette conclusion : il n’y a aucune logique, juste de la souffrance.

Les séries israéliennes brillent par leur faculté à raconter la société, ici et maintenant, sans occulter ses souffrances ni sa violence. Pourtant, l’écrivain et scénariste Sayed Kashua confiait, lors de la précédente édition du festival Séries Mania, son peu d’espoir de voir la fiction faire évoluer les mentalités…

G.R –Sayed Kashua se trompe : il fait bien plus qu’il ne croit. Sa série « Arab Labor » (qui met en scène une famille arabe israélienne, NDLR) est un énorme succès en Israël et il parvient, avec humour, à nous renvoyer au visage le racisme dont nous sommes, les uns et les autres, coupables… Cela fait avancer les choses, c’est certain. Comme auteurs de fiction, nous ne sommes pas là pour prêcher, mais pour faire affleurer ce qui est enfoui et provoquer un questionnement intime chez le téléspectateur. Cela peut passer par un simple déplacement des représentations : avec « Hatufim » on est loin de l’image d’Epinal du jeune soldat israélien triomphant. Nos héros sont des hommes brisés…

Claire Danes, alias Carrie dans la série : “Tel Aviv est la ville la plus intense du monde pour faire la fête” 

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Les Inrockshttp://seriallovers.blogs.nouvelobs.com, adaptation coolisrael

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