Commémorations, suite.

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Ça continue avec Yom HaZikaron.
Quand on est, comme moi, nouveau en Israël, au départ, on ne comprend pas la différence avec Yom HaShoah. On apprend que le mot « zikaron » signifie mémoire, souvenir et on se dit qu’ils se sont trompés sur les calendriers. On ne peut pas commémorer deux fois en deux semaines le même événement. Ce n’est qu’à l’approche de cette semaine que l’on comprend que Yom HaZikron n’a rien à voir avec Yom HaShoah. Yom HaZikaron est une journée en mémoire des soldats tombés au combat et des victimes du terrorisme, qui a lieu chaque année la veille de Yom HaAtzmaut, jour de l’indépendance. Célébrer ces deux événements, l’un à la suite de l’autre, dans cet ordre et à la façon dont les israéliens ont choisi de commémorer et célébrer fait de cette semaine, une semaine unique.

YomHaZikaron. La veille au soir, à 20h, une sirène retentit. Et que l’on soit à Latrun,  Kikar Rabbin à Tel Aviv, ou ailleurs, les commémorations se déroulent de la même manière. Des témoignages, quelques brefs discours et de la musique. La cérémonie à laquelle j’ai assistée était simple, solennelle, intense et plus triste que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Yom HaZikaron est unique. En France, nous n’avons pas d’équivalent. Ailleurs, je l’ignore. Mais en Israël, on rend hommage ce jour-là aux soldats tombés au combat, à ceux qui ont donné, souvent très jeune, leur vie pour ce pays. On entend des témoignages de familles, leurs pressentiments, on voit des photos, des vidéos, les familles parlent hébreu, russe, anglais, français. Car les soldats n’étaient pas tous nés en Israël, certains nés en Russie, ont immigré avec leurs familles à l’âge de huit ans, d’autres, comme les américains et français dont on nous raconte les histoires ce soir-là, sont venus spécifiquement à l’âge de dix-huit ans, par amour du pays, pour contribuer à sa défense.

Dans tous les cas, un même sentiment de devoir les habitait, un même patriotisme. Le jeune français qui a été blessé avant de succomber a eu le temps de dire à ses amis qu’il ne regrettait pas.

Ce sont aussi des histoires de familles victimes du terrorisme que nous entendons. L’histoire de cette femme qui a perdu mari et enfants lors d’un attentat suicide. Ils déjeunaient en famille lorsque soudain, une lumière, une obscurité totale, et plus personne. Et je pense à Toulouse.

On dit le Kaddish, la prière des morts. « Yisgadal veyiskadach », les deux premiers mots de cette prière me font toujours un effet très particulier. Moi qui ne suis pas religieuse et ne connais aucune prière, je reconnais toujours le Kaddish par ces deux mots et le ton sur lequel ils sont récités. Ils éveillent en moi de durs souvenirs et ils me rendent invariablement triste, même si je ne comprends rien et si je ne connais pas la suite. J’ai la chair de poule.

Nous sommes plusieurs ici, nous nous connaissons, ou pas, nous ne nous regardons pas, les larmes coulent, on ne s’attendait pas à ça. On ne savait pas à quoi s’attendre. On se souvient que le pays dans lequel on a choisit de vivre n’est commun à aucun autre.

Le lendemain matin, à nouveau, une sirène. A la différence de celle pour la mémoire de la Shoah, une semaine plus tôt, où tout le monde autour de moi s’était figé, toutes les voitures, tous les touristes (dont certains, subjugués, filmaient avec leurs portables), tout le monde sauf le vent, cette fois-ci, plusieurs voitures continuent leur chemin au milieu d’autres voitures, de camions et de bus arrêtés, portières ouvertes et conducteurs dehors, debout. Clairement, célébrer les soldats n’a pas la même résonnance, et je peux comprendre. Pourtant, la tête toujours emplie des histoires et des visages de la veille, je ne retiens qu’une seule chose : ils étaient jeunes, idéalistes, pleins d’espoir et ils sont morts. Ils ne sont pas les monstres que certains médias dépeignent. Ce sont de jeunes hommes et de jeunes femmes au cœur d’un des conflits les plus complexes au monde. Ils défendent leur pays, leur peuple, leur famille, et un idéal. Ils sont courageux et nous ne les avons pas connus. Je me tiens droite, je baisse la tête et je pense à eux, à ce courage et à cet espoir qui les habitait.

Toute la journée, flotte une ambiance lourde. Les gens sourient peu, à la radio, les musiques sont tristes et les voix graves. Le Mont Herzl où sont enterrés tous ces soldats est plein. Mais en fin de journée, le jour de la mémoire, de la tristesse et du deuil, laisse la place au jour de l’indépendance et à des fêtes à chaque coin de rue. Partout, des petits drapeaux d’Israël gigotent avec le vent. Aux fenêtres, sur les voitures, accrochés à des coins de portes, dans les supermarchés, et autours des cous. Les gens s’enroulent dans le drapeau, se maquillent aux couleurs du drapeaux, portent des chapeaux, des ballons, portent Israël sur leur peau. Les gens sont dans les rues, marchent, certaines rues sont bloquées aux voitures. Les gens sourient, on est obligé de laisser la pesanteur de la journée qui vient de s’écouler derrière nous, la mort cède la place à la vie, nous sommes conscients de ce que nous avons et que d’autres ont perdu. Et nous leur devons bien ça.

Je rejoins des amis dans l’appartement d’autres amis. Les portes sont ouvertes, des odeurs de barbecue (repas traditionnel) se propagent dans toutes rues. Les voisins entrent, dansent, boivent, mangent et repartent. Mes amis et moi, un russe et une canadienne, ne savons pas vraiment comment nous adapter. Nous dansons timidement, mangeons du bout des lèvres, nous n’osons pas vraiment, nous ne sommes pas (encore) israéliens. Puis une fille, que je ne connais pas, me prend par le bras et pose son grand chapeau sur la tête de mon copain russe. Petit à petit on se détend. On danse aussi comme des fous. Puis on prend le large, direction Kikar Safra, devant l’hôtel de ville, où a lieu LA fête de Yom HaAtzmaut. Musiques et danses folkloriques, tout le monde danse avec tout le monde, et les drapeaux flottent au-dessus de nous. Sur le chemin, sous les bruits des feux d’artifices, on descend la rue Ben Yehouda et les stands de pop-corn, hot-dogs, barbe-à-papa, pommes d’amour se succèdent. Les gens mangent des glaces, chantent, sourient.

Je sais que beaucoup trouveront à redire de ces festivités, à critiquer, mais je suis simplement heureuse d’être là, de faire la fête avec ces gens que je n’aurais jamais rencontrés si nous n’avions pas ce lien entre nous, cette idée, cette identité, ce pays. Et à tous ceux qui voudraient gâcher ma joie ou relativiser ma peine de la veille, je ne peux dire qu’une chose : vous ne nous connaissez pas.


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