Un jeune célibataire israélien réchauffe les relations entre la France et Israël. (la suite/2ème épisode)

sonia

(Suite du précédent épisode)

Je me suis assis à la terrasse de ce café à 17heures, j’ai cherché à séduire la jeune femme de la table d’à côté, Olympia. On est vendredi, il est 18 heures ; après maints efforts de ma part, elle a finalement l’air bien disposée à mon égard. Tout pourrait aller pour le mieux si je n’avais promis à mon oncle de venir dîner chez eux, ce soir à 19 heures, après avoir annulé deux fois.

Un cas de conscience classique se pose : « battre le fer tant qu’il est chaud avec la demoiselle » (si je peux me permettre cette expression) ou prendre le risque qu’elle ne se ravise ?

Le même problème posé autrement : reporter une nouvelle fois un dîner dans la famille W, et risquer de les fâcher ou accepter leur invitation ?

Durant l’adolescence, je me suis souvent pris la tête avec ce genre d’hésitations et j’ai fini par mettre au point une solution qui consiste à s’en tenir à ses engagements et ne compter que sur un changement de programme qui ne soit pas de mon fait. En l’occurrence, il faudrait que mon oncle me téléphone pour annuler le dîner.

Etant donné que mon oncle est âgé de 72 ans et qu’il habite boulevard de Courcelles, c’est peu probable.

20 minutes de bavardage avec Olympia sur un livre qu’elle « adore », tout en me demandant comment lui dire que j’allais partir.

Et le miracle se produisit.

-elle, tout sourire : « Cher Reuven, je suis désolée mais je dois y aller, je dois passer chez moi avant d’aller dîner chez mes grands-parents. J’ai passé un moment très agréable, je te laisse mon numéro, et j’espère te revoir ».

-moi, concis et l’air détaché : « Bonne soirée Olympia ».

Quinze minutes devant moi avant de prendre le métro. Suffisant pour commander une bière tout en digérant un flot de pensées contradictoires :

-« Je me suis encore pris la tête pour rien. »

-« C’est bien qu’elle soit partie, je vais aller chez mon oncle tranquillement. »

-« Comment elle fait pour être aussi directe, on dirait une israélienne. »

-« Comment je l’ai abordée ! J’ai assuré grave. »

« « Vous avez un vrai style, une belle élégance », je vais raconter ça à Alex, lui qui drague comme un débile, ça va l’aider. »

-« Pourquoi elle va dîner chez ses grands-parents un vendredi soir ? »

-« Il est génial mon système de décision ; je me demande si dans la Torah, il y a pas un enseignement qui va dans le même sens. »

-« C’est bon d’avoir des règles auxquelles se tenir, sinon c’est l’angoisse. »

-«  Bien sûr que tenir ses engagements, ça doit être dans la Torah. »

-« Qu’est ce qu’on va manger ce soir ? »

-« Elle est mignonne, on va voir, je la rappelle dimanche  après le match de foot à Boulogne.»

-« J’ai faim, j’ai envie d’un Tchoulent. »

Après deux bières :

-« Il est sympa ce serveur, je vais lui laisser un pourboire. »

-« Qu’est ce qu’elle est canon. »

-« Allez, je me casse. »

Ligne 12 du métro, changement à Saint-Lazare, sortie métro Villiers, j’arrive chez mon oncle accueilli par un retentissant : -« Shabbat Shalom Reuven ».

Moi :-« Shabbat Shalom tonton. »

A droite dans le salon, j’aperçois une dame qui souffle et s’excite avec les mains sur son téléphone mobile. Ca doit être Sonia et elle doit jouer à Tetris.

Sonia est la fille de mon oncle. Selon les informations de ma mère, elle a un caractère « difficile » et vient de rentrer en France suite à son divorce  d’avec un américain « adorable ».  Sonia a trois frères, dont David est le seul que je connaisse. Je l’ai rencontré une fois, Il y a dix ans quand il était venu en Israël pour participer à un tournoi de magie dans la banlieue de Tel-Aviv. Il avait accepté que je l’accompagne et m’avait laissé un souvenir impérissable.

Le sujet de mon cousin David était devenu tabou chez ses parents. Quand ma mère demandait des nouvelles à la sienne, ma tante essayait de noyer le poisson par des réponses vagues du style : « Il est toujours au Canada, ça se passe bien, il fait ses trucs. » Devinant la gêne de ma tante, ma mère avait cessé de poser des questions sur David depuis longtemps. Je ne pouvais plus savoir s’il était toujours ce gars extraordinairement cool qui voulait révolutionner la prestidigitation et m’avait fait forte impression il y a dix ans.

Jusqu’à sa retraite, la profession de mon oncle était chirurgien, vous pouvez  donc comprendre que la passion de son fils pour la magie lui était difficile à digérer. Quand un collègue professeur en médecine lui demandait quelles voies professionnelles ses enfants avaient choisies, il ressentait une certaine gêne à l’évocation de David. Pour les autres ça allait, un entrepreneur, un médecin et Sonia dans le marketing mais pour mon oncle, magicien c’est un métier de saltimbanque et saltimbanque pour lui c’est pas positif.

Pour des raisons inconnues, mon cousin David ajoutait du stress à son entourage en tenant des discours obscurs sur sa vocation. En Israël, il m’avait dit :-« Tu sais Reuven pourquoi je vais être un grand magicien ? ».

Moi à 15 ans :-« Non, je sais pas. »

David :- « Parce que je m’appelle David comme David Copperfield et que je suis né un 31 octobre. Tu sais ce qui s’est passé le 31 octobre ? »

Moi à 15 ans :-«  Je l’ignore. »

David :- « C’est le jour de la mort du plus grand magicien de l’histoire. Tu le connais ? »

Moi à 15 ans :-« Non. »

David :- « Il s’appelait Houdini. Le jour où il est mort, je suis né. Tu comprends ?»

Moi à 15 ans :-« Non, je comprends pas. »

David :- « Je continue sa mission. »

Moi à 15 ans :-« Ah bon ? »

Déjà, moi, à l’âge de 15 ans, j’étais pas convaincu par ses arguments, alors on peut tous comprendre que ce genre de raisonnement inspirait encore moins un chirurgien parisien réputé.

Hélas, ce soir David continuait d’entretenir le mystère et j’allais subir une attaque en règle de sa sœur.

Sonia sur un ton très méprisant :-« Ah OK, c’est toi Reuven ? »

Moi :-« Bonsoir. Oui, c’est moi. Et toi, c’est Sonia, je suppose ? »

Sonia :-«  Pourquoi tu supposes ? On parle de moi ?»

Et là, j’ai eu une fraction d’hésitation entre me taire et répondre. Hélas, je me suis souvenu du sombre tableau dressé par ma mère et j’ai répondu :-« Oui, bien sûr on parle beaucoup de toi dans la famille, on s’inquiète. »

Ne me demandez pas pourquoi, j’ai répondu ça. Je n’en sais rien, c’est sorti tout seul et ma cousine m’a semblé s’effondrer de l’intérieur.

Avec du recul, je peux comprendre qu’un étudiant de 25 ans qui te dit que lui et toute la famille s’inquiètent pour toi, quand tu viens de quitter ton mari à 45 ans pour te sentir libre et suivre tes « aspirations », ça peut blesser et renvoyer une image négative. En même temps, elle pouvait s’y attendre.

Ma tante est arrivée et ma cousine a disparu.

Ma tante :-« Shabbat Shalom Reuven, quelle joie de te voir, j’ai parlé avec ta mère cette semaine au téléphone. »

Après quelques minutes de bavardage avec mon oncle et ma tante, au sujet de mes études en France, de la taille ridicule de mon appartement et de la situation en Israël, j’ai envoyé un SMS à Olympia et je me suis inquiété pour ma cousine Sonia.

Moi :-« Elle est où Sonia ? »

Ma tante :-« Elle est dans sa chambre, je vais la chercher. »

Il faut savoir qu’après son divorce, Sonia était revenue vivre chez ses parents et avait retrouvé la chambre des son enfance.

Sonia de retour dans le salon et encore plus méprisante :-« Alors ce soir on accueille un israélien ? »

Moi, ironique :-« Faut croire. Pourquoi c’est mal ? »

Sonia :-«  Hors de question de mettre les pieds en Israël. Le mur, Gaza, la politique, tout ça me révolte. »

Moi, méchant :-«  Et tu vas les mettre où tes pieds prochainement ? » (Là j’ai hésité à rajouter « dans ta chambre avec tes poupées ? » mais par respect pour mon oncle et ma tante, je me suis tu.)

Sonia :-« Je vais voyager en Amérique du sud avec des amis. J’avais prévu un voyage en Syrie mais il a été annulé à cause des troubles. »

Moi, très ironique :- « Ah ouai quand même! La contradiction ça te fait pas peur. Donc en Syrie, tu peux mettre les pieds, ça te pose pas de problème. Remarque je te comprends, c’est vrai qu’il est sympa Bachar et puis il a une belle moustache! Mais en Israël c’est pas possible pour toi, c’est pas assez moral, c’est ça ? C’est bien Sonia, t’es lucide, t’es honnête, t’as les idées claires. Franchement bravo, c’est des qualités importantes et puis c’est devenu rare aujourd’hui. »

Sonia :-« Petit con! Tu comprends rien. »

Le mot « con » même précédé de « petit » reste une insulte. Il est préférable de se faire traiter de « petit con » plutôt que de « gros con », voire de « sale con », mais n’empêche que ma cousine Sonia venait de m’insulter devant sa mère. Quand je subis ce genre d’attaques, il arrive que je sente monter en moi une sorte de sixième sens qui me donne des répliques cinglantes qui auraient terrassé ma cousine sur le champ. Mais j’ai préféré répondre légèrement pour préserver ma famille.

Moi :-«Tata, comment on dit en français, l’objet qu’on met sur les yeux des chevaux pour éviter qu’ils aient peur ? »

Ma tante, exaspérée :-«Des œillères, Reuven. »

Moi :-«Voilà, c’est ça que tu as Sonia, c’est des œillères. C’est-à-dire que tu vois pas tout, tu vois seulement une partie, tu devrais te faire opérer des yeux ! »

Sonia :-« Moi, je lis les éditos en anglais de ….. (un journaliste israélien)»

Moi :-« Et alors, c’est pas grave, moi aussi ça m’arrive de les lire en hébreu. »

Sonia :-« Ah bon ? »

Moi :-« D’ailleurs, c’est drôle, il parait qu’il habite dans les tours Akirov à Tel-Aviv, (מגדלי אקירוב). Tu comprends, c’est un peu comme si en France, le journaliste spécialiste des banlieues habitait avenue Montaigne. Je trouve que  ça enlève de la crédibilité quand même, pas toi ? »

Sonia :-« Pas du tout, il habite où  il veut, ça change rien. »

Moi :-«Enfin, je le juge pas mais t’imagines le genre de problèmes qu’il doit avoir : la température de son Jacuzzi, est ce que le doorman de son immeuble est bien resté éveillé toute la nuit ? Ce que je veux dire c’est qu’il parle d’un sujet dont il ne connait que la théorie. Imagine le contraire en France. Imagine si Stéphane Bern habitait à La Courneuve ou à Montfermeil, ça ferait drôle quand même, non ? Enfin, je sais pas ou il habite mais ça m’étonnerait. »

Sonia :-« Oui c’est ça. Tiens, j’ai acheté un livre pour toi, ça va peut-être te faire réfléchir. »

Sans me connaître, Sonia avait anticipé mes convictions en se fondant sur ma seule nationalité, on a vu mieux comme ouverture d’esprit.

Le « livre » : 32 pages, 3 euros. Le titre « Indignez-vous ».

J’en avais bien sûr entendu parler et une fille de la fac avait même proposé de me l’offrir. Comme Sonia, elle parlait de façon agressive et cherchait à me convaincre de quelque chose. Inutile de dire que son insistance m’avait agacé et que j’avais refusé sa proposition.

Moi, ironique :-« Je l’ai pas lu, enfin si, j’ai lu deux pages c’est-à-dire une bonne partie du livre.  Les deux pages qui parlent de mon pays.»

Je me souvenais qu’à la lecture, une phrase m’avait particulièrement choqué (indigné). L’auteur avait écrit quelque chose comme « le hamas n’a pas pu empêcher que des roquettes soient tirées sur des villes israéliennes ». Pour moi qui aie vécu une bonne partie de mon adolescence à Sdérot et dont la famille a quitté la ville à cause de quelques milliers de roquettes tirées par le hamas, il est plus qu’énervant de lire que l’auteur des tirs n’a pas pu les empêcher.

(Parenthèse à la hauteur de mon énervement : Imaginons que cette phrase ne soit pas mensongère, (je sais, je me donne du mal pour rien) et qu’effectivement le hamas n’ait pas pu empêcher que des roquettes soient tirées sur des villes israéliennes. Etant donné que ce sont les membres du hamas qui tirent les roquettes, ça voudrait dire qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’envoyer des roquettes sur des Israéliens. C’est plus fort qu’eux! Ils ressentent un désir incontrôlable de tirer des roquettes. Ils aimeraient ne pas le faire, (ah ça oui mon bon monsieur), mais ils peuvent pas faire autrement. C’est comme ça! Imaginez les propositions surréalistes du genre : « Il faudrait penser à créer des structures, prendre en charge ce type de dépendance ; il faudrait favoriser le dialogue, on pourrait organiser des groupes de parole, « les tireurs anonymes », par exemple ».
D’habitude, les envies irrépressibles portent sur d’autres sujets. Les addictions sexuelles, la boulimie,  la cleptomanie, ok ; mais le tir de roquettes c’est pas encore répertorié par les médecins. Quel est le nom de cette maladie méconnue, la roquettomanie ? La Kassamanie ? La tiromanie ? Non la tiromanie c’est autre chose, j’ai un ami obsédé sexuel qui en souffre.)

Bref, je suis retombé dans le travers habituel de celui qui est exaspéré. Au lieu de prendre le temps d’expliquer à Sonia, ce que vous venez de lire, j’ai préféré lui répondre autrement :-« Dis donc Sonia, tu t’es pas crevée, t’appelles ça un livre ? Moi j’appelle ça un prospectus comme dans les boites à lettres. J’aurais préféré un vrai livre. Stendhal par exemple, même en poche ça m’aurait fait plaisir ».

Sonia :-« En plus t’es snob ? ».

Et là, le drame. Je me suis retrouvé piégé, sans savoir quoi lui répondre (trente minutes plus tard, durant le dîner, j’ai trouvé plusieurs répliques parfaites, et je m’en suis voulu de ne pas les avoir eues à l’esprit quand il fallait).

A cause de ce mensonge indigne sur les tireurs de roquettes, le cadeau de Sonia m’avait scandalisé et j’avais fini par tomber dans un piège habituel pour celui qui se fait attaquer en fonction de ses origines sans rien avoir demandé. Je ne m’attendais pas à subir un tel traitement dans la propre maison de mon oncle, du fait du mal être de ma cousine. Quand je vais dans une soirée d’étudiants, je me prépare car ça peut arriver, mais ce soir là je ne m’y attendais pas, je serai averti pour la prochaine fois. Si ma cousine est toujours là, il n’y aura pas de prochaine fois.

Il est clair que la présence de Sonia à ce dîner était une épreuve et que j’étais tombé dans le panneau. En même temps elle était chez elle, et si quelqu’un devait partir c’était bien moi. Pourtant, je ne suis pas parti et durant tout le repas, j’ai essayé de ne parler qu’avec mon oncle et ma tante. A un moment, j’ai pensé que si David avait été là il aurait pu faire disparaître sa sœur.

Au milieu du repas, j’ai reçu un SMS d’Olympia : « 23 heures, rue de Téhéran dans le 8 ème pour une fête chez des amis ? No stress, Téhéran c’est juste le nom de la rue !».

Tout en esquissant un sourire, je me suis posé cette question : « elle est drôle ou elle est lourde ?», j’ai croisé le regard de ma cousine et j’ai décidé qu’Olympia était drôle. Je lui ai répondu :-« Ok, j’ai jamais eu l’occasion d’y aller. »

(Suite au prochain épisode)

Reuven.K

PS : J’ai changé le prénom de ma cousine par crainte de représailles, tout en étant conscient qu’il y a peu de chances pour qu’elle se rende sur un site dont le nom est « coolisraël ».

Accès au premier épisode : Un jeune célibataire israélien réchauffe les relations entre la France et Israël.

Tout extrait de ce texte doit porter la mention coolisrael.fr

 

 

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