Le philosophe israélien qui (re)questionne nos principes démocratiques

La societe decente

Avishai Margalit

Les philosophes guident le monde. A l’instar de Léo Strauss, Hans Jonas ou d’Emmanuel Levinas, Avichaï Margalit apporte sa pierre à l’édifice de l’avancée démocratique. En effet, son ouvrage précurseur pose la question de l’évolution de nos systèmes démocratiques étatiques et modernes. Dès 1996, avant Axel Honneth et son ouvrage La Société du mépris, Avichaï Margalit, professeur de philosophie à l’Université Hébraïque de Jérusalem, écrit La Société décente. Dans cet ouvrage, le philosophe se pose la question suivante : comment nos sociétés doivent-elles s’organiser afin d’éviter toute forme d’humiliation envers leurs citoyens ? Pour Avichaï Margalit, le respect des droits n’est pas suffisant et selon lui, une démocratie ne se résume pas à des élections libres et régulières ainsi qu’à l’instauration d’un état de droit. Même si ces principes constituent bien entendu des conditions nécessaires, c’est la manière avec laquelle on applique ce droit qui va permettre d’éviter toute humiliation. Le respect universel de tout être humain doit donc guider le législateur, au delà de la construction d’une norme juridique. D’après Avichaï Margalit, une vision sceptique à l’égard de cette universalité enclenche du racisme alors que chacun doit considérer « l’autre » comme soi-même.

En effet, retirer ce respect universel revient à retirer son humanité à l’autre et peut entrainer sa transformation en un objet, un animal ou tout simplement en un être humain pas tout à fait inséré dans la sphère de notre humanité. Pour éviter cette situation, il convient de rappeler que l’existence sociale de l’autre est nécessaire car, si la vision naturaliste prend le dessus, alors le risque est de créer des différences amenant à l’ignorer et au pire à l’éliminer. Il y a humiliation lorsque l’on nie l’identité de la personne, lorsqu’une société ne reconnait pas l’identité de l’autre. Il n’y a pas besoin de violence physique pour y parvenir. Le geste des personnes détentrices d’une autorité peut très facilement provoquer une humiliation ne serait-ce que par un manque d’attention aux publics, un manque d’attention à la singularité de chacun. Ce livre réactive donc un questionnement primordial pour nos sociétés fragilisées par la crise économique que nous vivons. La société décente d’Avichaï Margalit est une société dans laquelle aucun de ses membres ne ressentirait la honte et, où, au contraire, la personne causant cette honte aurait conscience que cela n’est pas dicible.

Cette réflexion est importante pour le quotidien de chaque société démocratique. Elle va permettre dans les années à venir de montrer un chemin différent, non seulement pour que nos sociétés demeurent démocratiques, mais qu’elles puissent aussi continuer d’approfondir cette démocratisation en soulevant de nouveaux enjeux et de rendre actives nos valeurs face à ceux qui considèrent que la reconnaissance de l’autre comme égal ne représente pas le souci premier.

Elle donne également à réfléchir sur les modes d’organisation des services publics et plus précisément des services sociaux. Nous sommes depuis de longues années en crise de « l’État providence ». Avichaï Margalit nous apporte une explication de son manque d’efficacité ainsi que des ébauches de solutions pour mieux l’adapter à notre modernité. Par exemple, une des humiliations forte émise par une société, participe du manque d’emploi. Une part importante des citoyens a été touchée par le chômage et s’est donc trouvée de facto dans l’incapacité de subvenir à ses propres besoins. Dans ce cadre, l’organisation des services sociaux intervient fortement. Comment éviter tout rapport d’humiliation entre celui qui donne, c’est à dire l’Etat, et celui qui reçoit, c’est à dire l’assuré social. Le système bureaucratique au sein duquel la personne est davantage considérée comme un ayant droit que comme une personne singulière va émettre une humiliation et va contribuer par son mode de prise en charge soit trop impersonnelle, soit trop importante, à la perte d’autonomie de l’individu et donc de sa qualité d’homme utilisant son libre arbitre. C’est le début d’une situation d’humiliation. L’équité, qui peut constituer une réponse, ne semble pas, pour Avichaï Margalit, la solution. En effet, l’équité consiste à donner davantage à ceux qui en ont le plus besoin. Mais cette équité pose le problème de la rupture de l’égalité entre les individus, cela serait, en résumé, abandonner la reconnaissance de tous en faveur de la reconnaissance des uns contre les autres. Cette situation ne peut à moyen terme que créer de la violence sociale par le mépris qu’elle émet.

Ce livre est de ceux qui posent les bonnes questions en remettant en cause les évidences. Il permet de (re)convoquer les grands principes démocratiques aussi bien en matière de droit politique que social. La reconnaissance, par la prise en compte de la singularité de chacun, sans rupture d’égalité, semble être une des pistes à suivre pour permettre à nos sociétés d’individus de poursuivre leurs cheminements démocratiques. Il reste à nos hommes politiques à le mettre en œuvre.


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