Reportage FashionMag.com : Tel Aviv se forge une culture mode

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Comment prendre le “pouls mode” d’une ville ? Il règne en tout cas à Tel Aviv une impression qu’il s’y passe quelque chose, qu’une culture mode est en train de se façonner. Si, dans la rue, le phénomène n’est pas encore perceptible au premier coup d’oeil, la première fashion week organisée en novembre dernier a donné une visibilité à ce qui est en train d’émerger. Considérée comme une place forte de l’architecture et du design – grâce à son héritage Bauhaus – la ville veut aujourd’hui se faire une place dans le monde de la mode.

En quelques années, le visage mode de Tel Aviv s’est transformé avec l’arrivée de chaînes et de marques internationales. Zara, H&M, Mango, Topshop, Gap, Bershka ou encore Forever 21 il y a quelques semaines, mais aussi les Français de Eleven Paris, American Vintage ou encore Zadig & Voltaire y ont ouvert boutique. Une arrivée qui a poussé l’une des enseignes israéliennes les plus connues, Castro, à redynamiser son style et ses magasins pour faire face à cette nouvelle concurrence. Cause ou conséquence, l’installation de ses vecteurs de mode a dans le même temps vu la demande augmenter. “Incontestablement, toutes ces arrivées en une décennie seulement ont fait grandir la culture mode à Tel Aviv”, affirme Leah Perez, responsable de la chaire mode du Shenkar College. Comme dans les capitales de mode européennes, le dernier phénomène en vogue est le vintage, faisant fleurir les friperies dans les quartiers branchés de la ville.
La communauté mode de Tel Aviv a en effet trouvé ses lieux de prédilection. A côté des artères commerçantes principales, garnies de malls, ou des typiques rues dédiées aux robes de mariées et cocktail très demandées, des lieux émergents ont fait leur apparition. Le nouveau quartier bobo de Neve Tsedek, rassemblant artistes, designers et intellectuels, s’est garni de petites boutiques de mode, de bijoux et d’artisanat local. Avant d’être rénové, ce vieux quartier était plus underground, comme la rue Levantine aujourd’hui où nombre de designers et de multimarques avant-gardistes se sont installés, comme autour du marché aux puces de la vieille ville de Yaffa.

Ces nouveaux repères créatifs rendent visible et structurée la sphère mode de la ville. Celle-ci grandit incontestablement, tant dans sa périphérie (photographes, journalistes, blogueurs, et fashionistas de plus en plus aguerries) que dans son cœur, les designers. De l’avis des observateurs, ceux-ci sont de plus en plus nombreux. Issus des trois écoles du pays, dont la plus connue est le Shenkar College et son ancien élève le plus prestigieux, Alber Elbaz. Face au peu de débouchés à Tel Aviv, un bataillon de jeunes stylistes fraîchement diplômés ne souhaitant pas quitter leur ville se lancent donc pour leur compte.

“Depuis une dizaine d’années, le nombre de créateurs a tellement augmenté à Tel Aviv, peut-être trop même, affirme Shachar Atwan, notre confrère du quotidien Haaretz. La ville et le pays sont un peu petits pour tout ce monde”, explique-t-il. Certains de ces designers se plaignent d’ailleurs d’un certain décalage culturel. Dans un pays carrefour entre l’Orient, la Méditerranée et l’Occident, les designers souvent très influencés par les codes de la mode européenne ont du mal à s’épanouir au-delà de Tel Aviv. Face au petit périmètre de cette enclave de mode, tous se tournent aujourd’hui vers l’étranger et accueillent donc avec bienveillance la création de la fashion week, qu’ils défilent ou non, amenant dans son sillage des acteurs internationaux de la mode.Pour grandir, les designers locaux doivent faire face à un problème de taille: les lacunes de l’industrie textile nationale. Si le secteur avait été florissant dans les années 1960 et 1970, ce jeune Etat avait ensuite réorienté ses subventions vers les industries hi-tech et pharmaceutiques. Les créateurs rencontrent donc des problèmes d’approvisionnement en tissu, mais aussi de confection. Les contraintes diplomatiques empêchent le commerce avec certains pays voisins en conflit déclaré.Les relations commerciales avec l’Egypte et la Jordanie sont parfois perturbées, particulièrement depuis le printemps arabe, poussant les designers voulant passer le cap de l’artisanal à une production chinoise. Ce problème concerne principalement le moyen de gamme, qui ne trouve pas de solutions intermédiaires. Si le milieu de la mode de Tel Aviv y semble relativement imperméable, les problématiques géopolitiques ont finalement un retentissement sur son activité.La fashion week de Tel Aviv instaure des partenariats avec Milan dont les Israéliens espèrent qu’ils pourront débloquer certaines de ses problématiques, mais ses acteurs aimeraient surtout reconstruire une industrie nationale. “Les problèmes de fabrication et de matière première ne se résoudront qu’en réinvestissant dans la filière !” affirme Leah Perez du Shenkar College. Cet événement leur permet de se montrer plus visibles et plus organisés afin de peser davantage dans le paysage local, et à terme, l’économie locale à condition d’être encouragé par des aides de l’Etat.

Anaïs Lerévérend

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