Mohamed Husain : le boycott d’Israël nuit aux Palestiniens, donc à qui ça sert ?

Mohamed Ed Mahbub Hussain

Mohamed Mahbub Ed Hussain

Sur les antiques murs de Jérusalem, étaient accrochés de vieux ventilateurs dont le bourdonnement se fondait avec le bruit du vent. Ils ne disposaient pas de moyens financiers suffisants pour installer la climatisation. Les tapis pour les fidèles était vieux et abîmés. Je me trouvais à l’intérieur de l’un des lieux les plus signifiants au monde mais les échafaudages et la foule m’empêchaient de voir le centre du Dôme du Rocher.

Les fuites d’eau, les étagères croulant sous les chaussures mal rangées des fidèles et les tuiles antiques poussiéreuses me donnaient une sensation de disconvenance impropre au troisième site le plus sacré de l’Islam. Ça n’était pas à cause des Juifs ou de l’Occident, mais de la nôtre, nous musulmans qui prétendons nous battre pour « libérer Jérusalem » et pourtant négligeons le cœur même de cette ville. Pourquoi ? Que devons-nous faire pour que cela change?

J’ai récemment visité Israël et la Cisjordanie pour la première fois. Je suis Musulman et dans les communautés musulmanes du monde entier, venir visiter Israël est synonyme de « soutien à l’entité sioniste » et entraîne par conséquent un risque d’isolation sociale. Pour ma part, je pense que cet état d’esprit est non seulement dépassé mais il est surtout voué à l’échec.

La Ligue arabe a commencé son boycott des produits sionistes en 1945 et a plus tard créé un bureau du boycott central pour s’assurer qu’il n’y ait aucun contact entre les pays arabes et Israël. En réalité, les pays du Golf et d’autres encore contournent régulièrement cette politique mais les arabes et musulmans ne sont pas encore prêts à se libérer de l’état d’esprit « ancestral » de boycotter tout ce qui provient d’Israël.

Un éminent dignitaire religieux, Yusuf al-Qaradawi, en plus de justifier les attentats suicides infligés aux civils israéliens, appelle régulièrement ses fidèles aux fatwas et impose à tous les musulmans d’établir tout contact avec Israël.

Les récentes tentatives d’universitaires communistes européens de boycotter Israël ont encore une fois appuyé et validé cette attitude abjecte et indigne renforçant le complexe de supériorité de certains universitaires et religieux musulmans.

Mais les principales victimes de ce boycott ne sont pas les Israéliens, ce sont les Palestiniens. L’économie israélienne est en plein essor tandis qu’une partie de la population palestinienne vit dans des conditions précaires. Le boycott arabe a depuis des décennies lamentablement échoué. On estime que 70% des familles arabes de Jérusalem-Est vivent en-dessous du seuil de pauvreté.

Les arabes des pays voisins ne viennent pas visiter Jérusalem en raison du boycott, mais beaucoup d’hommes arabes ne peuvent se permettre ce « luxe » de boycotter.

Ils trouvent des emplois comme agents de nettoyage, porteurs dans des hôtels de la ville, ou dans les commerces appartenant à des juifs. Parfois ils font le voyage vers la Cisjordanie pour aller travailler le temps d’une journée.

Beaucoup de gens condamnent les colonies israéliennes et appellent à un boycott économique de leurs produits, mais lors de ma visite, j’ai vu de nombreux travailleurs arabes participer et vivre de cette même économie israélienne.

Il ne peux exister de scission en Terre Sainte. Boycotter Israël revient à condamner les habitants arabes. Combien de temps encore allons-nous punir les Palestiniens dans le but de créer une Palestine libre ?

J’ai abandonné depuis longtemps la façon de pensée des groupes musulmans et me suis rendu en Israël dans le cadre de ce nouvel élan réalisme. L’ancien grand mufti d’Egypte, Ali Gomaa, et l’éminent érudit Habib Ali al-Jifri, ont rompu les liens avec Qaradawi et se sont rendus à Jérusalem en avril dernier.

Ils ont justifié leur visite par des raisons scripturales, citant le Prophète Mahomet qui incitait les croyants à visiter la Terre Sainte. Leur voyage a été facilité par le prince Ghazi bin Muhammad bin Talal de Jordanie, le principal conseiller religieux du Roi Abdallah II.

Les dirigeants musulmans de Jérusalem ont accueilli les deux hommes et des imams palestiniens ont appelé à la fin du boycott arabe contre Israël sur la chaîne arabe Al-Jazzera et d’autres médias. Il s’agissait d’un défi direct lancé aux radicaux comme Qaradawi et ses partisans des Frères musulmans au Caire ainsi que du parti islamiste Ennahda à Tunis.

Mais pourquoi aspirent-ils tant à poursuivre ce boycott ?

L’accord de libre échange entre la Turquie et Israël grandement bénéfique aux deux pays, les relations cordiales de la Jordanie avec l’Etat Juif, et la récente prise de positions d’éminents chercheurs sont une attestation de lucidité de la part de nombreux Arabes et Musulmans.

Le président américain Barack Obama doit se rendre en Israël et en Jordanie ce mois-ci. Les bruits de négociation de paix courent une fois de plus, mais les pourparlers sont encore une fois voués à l’échec à moins qu’il n’y ait de changements majeurs dans les attitudes adoptées.

Le premier ministre Benjamin Netanyahou, malgré ses nombreux défauts, a raison en affirmant qu’il existe une complète intolérance des pays arabes à l’égard d’Israël et par conséquent une profonde injustice pour ses habitants arabes. Les pays qui émergent tout juste des bouleversements à l’issu du printemps arabe ne peuvent être sérieux sur leur désir de démocratie quand eux même interdisent à leurs citoyens de visiter des sites sacrés musulmans (et juifs et chrétiens).

La voix des imams palestiniens qui sont pour la fin du boycott d’Israël doit être amplifiée. Les chefs religieux d’Al-Azhar en Egypte ou de l’Université de Médine en Arabie Saoudite qui prônent la paix sont souvent ignorés par les dirigeants politiques, malgré leur influence populaire. Un accord de paix souscrit par les imams modérés comme ceux-ci auraient une large influence politique et religieuse.

Sans un changement dans les attitudes, les préoccupations de sécurité d’Israël ne seront jamais dissipées. Humaniser Israël aux Arabes – en réunissant les alliés musulmans de l’Amérique, en abordant l’antisémitisme dans les manuels scolaires et dans les sermons des mosquées, en permettant aux citoyens arabes de visiter et commercer avec Israël – sont les premiers pas nécessaires à une paix durable.

Pour être crédible aux yeux des Musulmans, tout accord de paix nécessite le soutien de puissances sunnites, dont l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Egypte. Avec des organisations islamistes plus ou moins nuancées au pouvoir à Ankara, à Tunis, à Gaza, au Caire et en hausse en Libye, au Yémen, en Syrie et en Jordanie, l’Occident ne peut pas continuer à ignorer les dimensions religieuses du conflit arabo-israélien.

À moins que nous apprivoisions le tigre islamiste, dans une dizaine d’années nous regarderons en arrière et nous sangloterons de n’avoir rien fait.

Ce texte a été écrit par Mohamed Mahbub (Ed) Husain, écrivain britannique et membre honaire du Council of Foreign Relations de New York. Publié originalement par le New York Times, traduit par Julia Blumenthal.


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